Transcription

de saulveboeuf ce 2^e 9^bre 1745

je vous suis bien obligé mon cher amy de votre attention et
exactitude, pour prèvenir l'èdition de genève 1 mot biffure selon que je
vous en avois prié, jaime encore mieux que le libraire ne fasse
ny l'une ny lautre selon qu'il my paroit déterminé, et je vous
assure que celle qui est de l'aveu de le franc, n'auroit pas paru si
cette vilaine èdition batave ne ly avoit contraint.

jay fait un voyage depuis ma dernière lettre pour aller voir chex luy
le marquis de st george mon intime amiy, jay traversé 4 provinces
et parcouru une partie de nos côtes de la mer océane que je ne conn=
oissois pas; comme ètant aprèsent dans le paÿs des jolis chevaux et
ou l'on ne peut voyager que par cette voiture, jay èté a cheval
et l'on voit et connoit beaucoup mieux le paÿs de la sorte, car les
grandes routes se ressemblent toutes, chaque province â cepandant
ses moeurs, ses usages, ses opinions diffèrentes quoyque affaissèes
toutes par le meme gouvernement, la position, les intèrets, le sol,
qui fait selon moy lae climat en partie tout scela fait les plus
notables diffèrences, qui ne se nuancent méme pas aux yeux du
<1v> voyageur le moins rapide quand il veut ètre èclairé. mon ètat
prèsent et le dètail de mes affaires aussy compliquèes qu'etendues
ne me permettent pas de faire souvent de ces sortes de tournèes, comme
jay toujours plus volontiers demeuré en place que voyagé, je ne
trouve pas que ce soit un inconvénient et je vous assure que jay
tant èrré en ma vie a prendre ce mot dans touts ses sens que je ne
suis pas faché de pouvoir aujourd'huy aller moins et plus en tatonnant.
le grand ordre regardé comme certain et reçu avec rèsignation, me
paroit mon cher amy le seul point de vue qui puisse nous conduire
a cette ègalité d'ame nécessaire au bonheur a la vertu, et que je
cherche depuis si longtemps en vain; je lis beaucoup l'histoire
a prèsent et je trouve que cette lecture me forme lesprit et le jugem=
ent, cette lecture qui ne peut manquer d'ètre constamment rèf=
léchie, me pènetre quelquefois de l'inutilité des efforts des hommes
pour prèvenir, amener, et conduire les 3 caractères biffure évènements, ces rèflèxions
profondément gravèes et ramenèes ainsy que toutes les autres sur
le plan de ma conduitte particulière me font tomber les bras, et
m'anéantissent pour ainsy dire par le sentiment de la prèdestination
ce qui est l'abus de la rèsignation au grand ordre; mais je me rel=
éve aussitost en cherchant le milieu qui dans toutes choses est le
point de vèrité, et je me dis tout a coup, que la providence desirant
<2r> que tout soit en mouvement, cest nous revolter contre le grand ordre
que d'agir consèquemment a une opinion qui tend a faire cesser
toute opèration de notre part comme inutile et de nulle consèquence
il ne sagit après cela que de rendre en nous l'amour du devoir assès
fort pour qu'il nous porte a agir avec autant de vivacité et d'envie
de reussir, que nous le ferions pour les projets de notre imagination
et les desirs de nos passions.

je te félicite de l'accomodement que tu as fait, cest gagner que
dèviter un procès en perdant, 1 caractère biffure j'agis consèquemment a ce principe
a plus forte raison est ce une affaire d'or de profiter en s'accomodant
adieu mon cher amy mille respects chex toy, dieu veuille y conserver
l'union, y donner la paix, la fècondité, le bon ordre et la charité
bonxs fondements d'une maison, de plus la joye et la santé bons
passetemps sans lesquels il n'est nul bien. mille respects de ma part
a toutes tes dames, et un peu de souvenir pour ton amy

Mirabeau

Je  conte partir lundy
ou mardy p^r rolle
Jassure toutte la famille
de mes Respects tres
humbles, Perreault
le 13. 9^bre 1745