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Lettre à Frédéric de Sacconay, Toulouse, 03 août 1744
de toulouse ce 3e aoust 1744
je reçus mon cher amy ètant dèjà en route et en passant a aix
ta lettre du 14 du mois passé, et dètourné par mille dètails, et ne
m'arrétant qu'icy, je n'ay pu jusques la te rèpondre; ce nest pas une
petite affaire que j'exècute a prèsent, il étoit question de mettre mes
biens de provence cest a dire tout mon patrimoine naturel, en état de
se passer de moy et des miens, chose qui n'etoit point arrivèe depuis
que nous sommes ètablis en france, y ayant toujours quelqu'un de la
famille dans ce paÿs la, jespère y avoir reussy de façon qu'il y a
beaucoup a gagner pour moy a notre absence; il falloit allier, et la
nécessité de mes affaires qui me demandent a prèsent dans les terres de
ma femme et me demanderont ensuitte a paris, pour affaires de
toute espèce et èducation d'enfants, et le besoin que j'ay de la prèsence de
ma mére, contre lusage reçu en france qui rend les pères toujours incom=
patibles avec les enfants ètablis, mais selon mon coeur, et selon aussy
mes plans de conduite, de moeurs, et de ménage; ce dernier point etoit
<1v> encore plus mal aisé; ma mére accoutumèe faite depuis quelques annèes par
une grande tranquillité a en desirer encore davantage avoit passé
près de soixante ans, dans nos climats qui ont tant d'attraits pour leurs
habitans, considèrèe dans sa province ou elle avoit des amis choisis, natur=
ellement en garde contre une belle fille parisienne elle n'eut pas cru elle
mème pouvoir etre déterminèe a venir voyager dans des terres inconnues
tout cela est pourtant venu petit a petit, j'avois commencé par vendre
ma maison d'aix pr sacrifice pour elle, et en louer une ma marseille
quand ensuitte je suis vèritablement entré dans le dètail de mes affaires
ce qui nest véritablement arrivé que ce dernier voyage, je luy ay montré
que mon dérangement venoit faute de calcul en dépensant, que outre
que j'avois de grandes affaires, a portèe des terres de ma femme, cest que
les danrèes au poids de l'or en provence, ne sy vendoient pas et qu'il
falloit les aller consommer, enfin elle a pris son party, et après quelques
peines de détail, j'ay le plaisir de voir qu'elle est presque au bout de
son voyage et a se reposer en maison amie, dans la meilleure santé du
monde, mon fils a doublé en route, et est devenu un fort bel enfant, et
enfin je suis presque au bout, imagine toy qu'il m'a fallu a marseille
2 caractères biffure nen méme temps se préparer a un pareil départ envoyer ballots &c.
et demeubler de'un bout a autre toute une maison, ou nous avions logé
5 maitres et 32 domestiques, mais je te parle furieusement de moy
<2r> mon cher amy tu m'en as prié et dailleurs nos amis doivent porter nos
satisfactions comme nos peines. tu ne scaurois croire l'obligation que je
t'ay de tes conseils et de ton ouverture de coeur, quand a moy je t'ay
exposé mes idèes sans vouloir t'asservir a mes principes, je suis persuadè
que tu mèneras très bien ta barque quoyque par de tout autres ressorts;
les miens sont relatifs a mon caractère, ainsy que mes entours, et les accidents
qui peuvent m'arriver, si je suis rigide cest envers moy, je me connois
j'ay besoin de sévèrité, du relachement dégénéreroit bientost en desordre
ce qui étoit pardonnable autrefois, ne le seroit pas aprèsent, et l'homme
d'aujourd'huy est le méme que celuy d'autrefois, faites moy cepandant
mon cher amy part de vos idèes elles ne scauroitent que m'etre utiles
mon adresse est a brives pour saulveboeuf ayant mis précédemment
en son chateau de salulveboeuf et en haut limousin, adieu mille respects
a vos dames