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« Assemblée XXXVI. Lecture de la "Fable des Abeilles" de Mandeville », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 18 janvier 1744, vol. 2, p. 41-54
- Société du comte de la Lippe (Auteur)
- Seigneux de Correvon, Gabriel (1695 - 1775) (Collaborateur)
Le comte de la Lippe ouvre la séance par la synthèse des opinions proposées à la lecture de la dissertation de Johann Jacob Schmauss portant sur l'obligation morale. D'après Schmauss la "nature" de l'obligation morale se trouve placée dans la crainte. Opinion que l'assemblée a vivement rejetée soulignant que la crainte et l'espoir ne sont que les aiguillons de Dieu placés en l'homme pour que celui-ci Le reconnaisse comme source de la morale. Certains membres comme le baron de Caussade estiment d'ailleurs que la crainte est un excellent moyen de maintenir les hommes dans leur devoir.
Le discours que présente Seigneux de Correvon devant l'assemblée porte sur la Fable des Abeilles de Mandeville. Gabriel de Correvon estime que le sujet de la nature de la religion ne devrait absolument pas être abordé sur le ton de l'ironie. Il rejette absolument l'opinion de Mandeville selon laquelle la morale trouverait ses sources dans les habitudes humaines et surtout dans la politique. Le conférencier estime que cela était valable pour l'Antiquité, mais pas depuis la Révélation. Il considère – opinion qui revient régulièrement dans les sermons et traités de théologie de cette époque en Suisse francophone – que le "remords" est la marque de la préexistence divine de la Vertu. L'amour-propre n'est donc pas à la base de tout, comme le défend Mandeville. Seigneux de Correvon conclut donc en taxant l'auteur de la Fable des Abeilles de "bel Esprit" qui n'aurait cherché qu'à plaire en débitant des paradoxes.
Au cours de la discussion, le professeur Dapples estime que Shaftesbury et Mandeville partagent les mêmes opinions, alors que Seigneux de Correvon a souligné au cours de l'intervention que le Lord anglais considère la morale comme universelle, le "sens commun" permettant à tous de percevoir la différence entre le bien et le mal. Quant au marquis du Lignon, qui rejette pourtant les idées de Mandeville, il n'en estime pas moins que les écoles de charité peuvent se révéler pernicieuses en ce sens qu'elles tendent à éloigner leurs pensionnaires de l'envie de se consacrer à un travail manuel, absolument nécessaire au maintien de la société. Le dernier intervenant, Polier de Bottens, estime quant à lui que si les "vices" disparaissaient de la société et que les activités commerciales en viendraient à pâtir, il n'y aurait là aucun malheur, bien au contraire, les hommes se contenterait alors du "nécessaire" et veillerait davantage les uns sur les autres, ce faisant la société deviendrait bien plus heureuse et "l'esprit" des hommes rayonnerait.
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Mots-clés:
- Droit et justice
- Droit naturel
- Economie
- Commerce
- Littérature
- Littérature anglaise
- Philosophie
- Morale/moeurs
- Bonheur
- Droit/devoir
- Religion
- Déisme
- Christianisme
- Athéisme
- Sciences
- Anthropologie
- Société
- Société savante/cercle/salon
- Sociabilité
- Assistance/hôpital/charité
- Droit et justice
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Personne:
- Caussade, Jonathan, baron de (1679-1752)
- Dapples, Jean-François (1690 - 1772)
- Lignon, Jacques Bibaud, marquis du (v. 1677 - 1746)
- Lippe, Simon Auguste, comte de la (1727 - 1782)
- Loys de Cheseaux, Jean-Philippe (1718 - 1751)
- Polier de Bottens, Georges (1675 - 1759)
- Rosset, David-François (1675-?)
- Seigneux de Correvon, Gabriel (1695 - 1775)
- Seigneux, François (1699 - 1775)
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Société/Académie:
- Société littéraire du comte de la Lippe - Lausanne (1742-1747)
- Helder Mendes Baiao (intégrale/fini) [afficher]
Public
La société accueille lors de cette séance un invité "Rosset Chatelain", qui reviendra encore aux assemblées 37 et 41. D'après Lugrin, il s'agit de David-François Rosset né en 1675*. Il fut justicier puis châtelain de Montherond dès 1709 et membre du Conseil des Deux-Cents de Lausanne en 1726. Il fut encore à la tête d'un régiment du Pays de Vaud en 1751.
Voir Ernest Lugrin, "La médaille de Simon-Auguste Comte de Lippe et la Société littéraire fondée par ce prince à Lausanne en 1742", in Revue suisse de numismatique, tome 17, 1911, pp. 255-268.
*La Société Genevoise de Généalogie fournit comme date de naissance de Rosset l'année 1679.
Public
Précisions concernant les "Seigneux":
Gabriel Seigneux de Correvon est appelé "M. le Boursier Seigneux".
François Seigneux est appelé "M. l'Assesseur Ballival (Seigneux)".
Jean-Samuel Seigneux est appelé "M. le Bourgmestre (Seigneux)".
Public
Personnalités et ouvrages cités au cours de l'Assemblée.
- Johann Jacob Schmauss (1690-1747). Le comte fait référence en introduction à la dernière assemblée, où a été lue et commentée la "3e Dissertation de Mr Schmauss sur l’origine et la nature de l’obligation morale et legale" qui se trouve dans le recueil suivant, donné pour la première fois à l'assemblée 32: "J. Jac. Schmaussii Dissertationes Juris naturalis quibus Principia novi Systhematis hujus Juris, ex ipsis natura humana instinctibus extruendi, proponuntur. Gottinga 1740, petit 8° de 108 pages".
- Bernard de Mandeville (1670-1733). Pratiquement tous ses ouvrages polémiques sont cités au cours de la séance, montrant par là que la réception de sa pensée à Lausanne avait été, comme ailleurs, très forte. Fable des Abeilles (1714), Recherches sur l'origine de la vertu morale (1714), Pensées libres sur la religion (1720), Essai sur la charité et les écoles de charité (1723), Recherche sur la nature de la société (1723).
- Anthony Ashley Cooper, comte de Shaftesbury, Characteristicks of Men, Manners, Opinions, Times (1711). Ouvrage généralement considéré comme un manifeste déiste.
- Pierre Bayle (1647-1706), cité, à l'exemple de Mandeville, pour sa façon agréable d'écrire tout en soutenant des opinions hétérodoxes.
- Bibliothèque raisonnée, tome III, part. II, p. 410-411. On trouve dans le procès-verbal cette référence à l'égard d'une opinion plutôt positive sur la Fable des Abeilles de Mandeville.