Transcription

La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier, [s.l.], 11 avril 1786

Le 31e Mars / 11e avril 1786.

Vous aurés recû mon bon ami une lettre du 12 ou 13e Fevrier
qu'un CVoyageur s'étoit chargé de vous remettre de ma part, faites
avisés moi part de sa simple reception, et gardés la soigneusement
afin dêtre en état de juger sainement, et de résister auà
L'Empire si puissant de l'Induction source féconde d'erreurs
sans nombre.

Les réfléxions que vous faites dans vôtre excellente lettre sont
celles que je fais chaque jour. Je ne me lêve jamais sans
avoir devant les yeux le gd but pour lequel je suis ici, je n'entre
jamais dans mon Carosse sans m'être bien répété songe à ce
que tu vas faire, je n'arrive jamais chez mes Elêves sans
un certain saisissement suite involontaire des mes refléxions
et de que m'inspire l'Etat des choses... mais mon bon ami, qu'il
y a loin partout de la conception à la réalité! Je m'J'imaginois au comen=
cement
que le patriotisme, le Zêle, et tous ces sentimens si
réels chez nous et chez plusieurs d'autres peuples devoient aussi
éxister 2 mots biffure autour de moi; comment penser en effet que le bien public
n'ait pas quelques partisans?.. Longtems je me suis livré à ces
illusions, mais l'expérience m'a convaincû de leur néant,.
depuis le début de la ligne biffure bien reformé mes principes crédulité sur
ce sujet Là ou le dévouement et le zêle passent pour folie
1 mot biffure un honnête home doit être dupe.
N'avés vous
jamais vû un char attelé de plusieurs chevaux parmi lesquels
il s'en trouve un plus fougueux, plus fort et plus courageux
que dles autres? Que lui en revient-il? il fait il est vrai chemi=
ner la voiture, mais il est tout en sueur, il se force, et
le Conducteur ne lui épargne épargne pas plus les coups qu'à ses
camarades et la mesure d'avoine est la même pour tous. et 1 mot biffure
2 mots biffure Mais supposons encore pourtant que le
<1v> voiturier reconnoissant étrillat mieux et choyat mieux un tel cheval
que les autres, ce Cheval n'en est seroit pas moins chargé d'un pesant collier,
il n'en est pas moins lié à son char, et forcé de suivre la trâce l'orniére qu'on
lui trace et d'obéïr à l'Impulsion de celui qui tient dles Rênes; empêcherat-il
la Voiture de glisser dans un fossé si l'une impulsion irrésistible
l'y entraine? Non sans doute, mais il tombera avec elle.
Mon bon ami j'aurois de la répugnance à 2 caractères biffure

J'ai eu beaucoup à faire cet hyver, et la plus ennuyeuse
besogne du monde: si je l'avois continuée encore pour 2 mois
elle m'auroit entiérement hébêté. Elle consistoit à extraire
différens livres d'histoire dont jaurai besoin pour la suitte.
L'Histoire d'allemagne, qui est un vrai cahos pour la
multitude des Détaïls dans lesquels il faut entrer pour la
bien connoitre, m'a pris beaucoup de tems, mais en fin j'en suis
venu à bout à peu près d aussi vite que je m'étois proposé.
Je me suis adonné à l'Anglois pendant quelques heures de
la Semaine, et quoique je n'y sois pas encore un assez habile
home pour lire Shakespear sans dictionnaire, je me suis cependt
mis en état de lire courament les livres prosaïques, et même
quelques poëtes. Vous n'imagineriés pas le plaisir infini que j'ai
eu à la lecture de l'ouvrage de Mr Gibbon: voilà je pense
coment il faut écrire l'histoire pour la rendre ce qu'elle doit
être une Philosophie pratique, et voilà come avoient fait
Thucidyde, Xenophon et surtout Tacite qui étoient demeurésoient
inimitables jusqu'à Mrs Hume, Robertson & Gibbon et a quelques
autres. Je relis dans ce moment Bolingbroke, j'ai lû l'Essay
sur l'home
de Pope
dont les beautés me charment, 3 mots biffure
Macbeth et Lear qui m'ont fait quelque fois dresser les cheveux,
l'aimable Vicaire de Wakfield, ... et je lis Tom Jones ou il y a
peutêtre un peu trop d'amour pour un home dont le coeur
<2r> est déja travaïllé de cette maladie, mais en attendant il
sa lecture m'amuse, me recrée et fait diversion à mes occupations
sérieuses, en m'entretenant d'objets agréables et rians.

2 mots biffure Le manque absolu d'une bonne Géographie de ce pays m'a
coûté tant de peines, et d'ennui pour y suppléer, que si ç'étoit
à recomencer à coup sur je donnerois bien l'ouvrage à tous les
mille Diables... Maintenant, grâces à des instructions multipliées, je
suis parvenu à me trouver l'issuë de ce Labyrinthe, et même
à avoir de ce pays une connoissance géographique au moins égale
à celle de mon propre pays; ensorte que si l'on me plantoit
à l'Embouchure de l'Anadir ou vis à vis la Côte d'Amérique
je sçaurrois indiquer ou et par où l'on doit me ramener, et par ou, afin
de regagner mes foyers.

Mes occupations me rendent sédentaire malgré moi. Je prèférerois
sans doute passer quelques soirées dans la compagnie de quelques
homes et de quelques femes d'un comerce sur, mais ou trouver
de pareïlles societés là ou personne ne se fie à l'autre, et
ou la comunication des coeurs est inconnuë? Cependant je vois de
tems en tems quelques homes d'esprit et de bon sens, qui viennent
chez moi, ou chez lesquels je vai. Leur Compagnie fait diversion
à mes travaux, et 2 caractères biffure je me retrouve tout autres après en avoir
profité pendant quelques heures, malheureusement eux et
moi somes gênés, et dans une gde ville ou chacun pense
à ses affaires on n'est pas sur de se rencontrer à point
nomé. Depuis 2 ans j'ai dansé une fois, et en vérité
c'étoit de bien mauvaise grâce. Ce n'est pas que je sois devenu pedant
sur l'article de ce plaisir, seulement il ne me tente plus:
il faut avoir ou 20 ans, ou une feme ayant amante
pour s'y livrer; or dès longtems la 1ere Epoque de 20 ans est passée pour
moi
, et quant au 2d Cas dont je parle, s'il éxiste, ce n'est
<2v> pas pour mon bonheur, et l'on danse mal et de mauvaise grace
quand on est triste. Le Départ de mon aimable compa=
triote m'a privé de la seule personne de son séxe qui me
rapellat encore celles que j'ai connues dans mon pays, et particulié=
rement celles qui vous appartiennent. et Je l'ai vû partir
avec un vif regrêt, mais avec cela j'ai conseillé et travaillé
bien sincérement à la faire retourner, persuadé qu'on ne
doit pas aimer ses amis uniquement pour soi, mais
aussi pour eux mêmes. Lorsque vous la verrés, et cela n'est
pas impossible un jour ou l'autre, demandés lui si j'oubliois
mes bons amis: Elle vous dira j'espére, que de loin come de
près je les porte en mon coeur, et qu'après ma liberté ils
sont le 1er de tous mes biens. Je dis la liberté... Ah! mon cher
ami! je l'ai bien laissé derriére moi ce 1 mot biffure trésor plus
réel mille fois que ceux du Potose. et pour quoi encore
Encore si je le recouvrois un jour! Encore s'il m'étoit donné
de respirer, 1 mot biffure de penser, de parler, et d'écrire dans un pays
ou l'home ne connoit audessus de lui que la loy, qui ou
il n'est comptable de ses actions qu'à un son magistrat, et ou
il n'a à craindre que les bouleversemens de la terre qui
1 mot biffure les ouragans et la tempête!, je me croirois heureux; mais
dès longtems cette sentence est prononcée qui sert les grands
serf devient
: Chaulieu qui voyagaite très comodément avec Condé
dans l'intérieur de la France, n'este fut pas plutôt tombé sur ce
passage du bon Amiot, qu'il comanda des chevaux de
poste pour rebrousser chemin, et partit malgré toutes les
sollicitations de son compagnon de voyage qui n'en put jamais
tirer que le même refrein: Chaulieu avoit raison puisqu'il
étoit indépendant, et je connois tel home dans le monde
qui eut feroit bien fait come lui en pareïlle circonstance.

<3r> Je n'ai pas pû m'occuper de mon histoire helvétique:
ce sera pendant l'Eté, ou l'hyver prochain que j'en ferai mon
principal objet. Mes Extraits sur l'histoire germanique abrégé=
ront mes les recherches sur l rélatives à l'Epoque antérieure à l'ave=
nement de Rodolphe I. Je pense qu'un historien doit être
vrai, et éxact, mais je pense aussi qu'il ne doit pas s'appe=
santir sur les anciennes traditions des Peuples dont il écrit
l'histoire. Un Ecrivain qui raconte tout n'est qu'un chroni=
queur. Son mérite 2 caractère biffure renfermé tout entier dans sa scrupuleuse
éxactitude, ne va pas au delà. Incapable de saisir l'ensemble,
il ne discerner pas les Evénemens principaux, etil dne choisit point parmi
les faits de détail ceux seuls qui importent pour éclaircir un
gd Evénement 1 mot biffure, il ne fait point ressortir quelques uns
de ces personnages, il n'indique point ces ressorts qui
ont produit les révolutions mémorables: en un mot son
travail ne remplit point le but de l'histoire, celui d'instruire
par l'éxemple du passé
, et d'enseigner aux homes la
vraïe philosophie par des Préceptes tirés de l'Expérience des
âges précédens. L'Histoire d'une République doit être
rélative à 2 caractères biffure il me semble présenter tous les traits, et
tous les Evénemens, toutes les révolutions propres à faire naitre
l'amour de la Patrie et les vertus qui lui appartiennent
à cette espêce forme de Gouvernement. Tout citoyen doit y trouver
les preuves des préceptes qu'on lui recomande, et les Exemples
propres de ceux qui en s'y conformant ont acquis le mérite
et la gloire dont on fait cas dans les républiques: c'est
ainsi du moins que Thucidide et que Xenophon chez les Grecs,
Tite Live, Salluste et surtout Tacite chez les Romains ont écrit l'histoire.
<3v> pourquoi Guichardin et Machiavel les ont-ils suivi de
près il y a 2 Siécles? et pour quoi les Anglois en ont-ils tant appro=
ché dans le nôtre? Siecle C'est que les uns et les autres ont
écrit en Patriotes animés d'un esprit patriotique: c'est
qu'ils ont pensé 1 mot biffure en premier instruire leurs devoir surtout diriger
leurs recherches vers les faits et les Exemples dont
il devoit résulter la plus grande utilité à leurs conci=
toyens. Et quand je pense ainsi, ce n'est pas que
je veuïlle qu'un Historien affecte aucune partialité:
à dieu ne plaise que le jusqu'à la fin de la ligne biffure telle soit mon opinion:
opinion je pense au contraire, que l'on doit dire également
et avec la plus exacte vérité tant ce qui est à charge
et à décharge, et je n'y mets d'autre condition que celle
que ren ci, que l'histoire soit écritte pour faire aimer
les vertus et les principes nécessaires pour le maintien de
la constitution, et pour inspirer la haine des ces crimes
et l'horreur de ces principes qui tendroient à la détruire
.
Par Exemple: J'insisterais moins sur l'avanture de
Tell, quelque convaincû que je sois de sona ex réalité, que
sur le devouement de ces 50 bannis, qui jugés indi=
gnes de deffendre leur patrie, n'en résolurent pas moins
de se dévouer pour elle dans les Défilés de Morgarten.
Je voudrois montrer Vinkelried embrassant les lances
ennemies, se les fixant dans le corps et frayant par
sa mort le chemin des siens à la victoire, Mais surtout
Je peindrois ce généreux et vénérable Hermite qui
âgé de plus de 90 ans
quitant sa retraite agé de 90 ans pour précher
l'union à ses compatriotes divisés, et dont la voix puisa
<4r> faisant servir la réputation de sa Sainteté à resserrer
les liens d'ue la Confédération prette à se dissoudre. J'offri=
rois aux patriotes le landaman Aebli, parcourant
les 2 armées de Suisses prêttes à se charger, passant de l'une
à l'autre, et réussissant à faire asseoir à la même
table, embrasser et boire ensemble, ces mêmes homes
qui peu de momens auparavant étoient prêts à s'égor=
ger... De tels éxemples, et ils abondent, se grâvent en
caractéres ineffacables dans le Coeur de tout home
susceptible de Sentimens honnêtes, ils sont la vraïe
pierre de touche de son caractêre, et pour moi je vous
l'avoue j'aurois une aussi mauvaise opinion de celui
auquel de semblables exemples ne donneroient pas la fièvre
que de celui qui n'auroit aimé de sa vie: somes nous
donc nés pour être neutres?

J'ai plus. réponses à faire à vos objections sur ce sujet.
Les noms sont durs dites vous. J'en conviens en partie,. 1 mot biffure Cependant
Si Stauffachen est d2 caractère biffure peu sonore ceux que je vous ai
cité plus haut ne sont pas dans le même cas; Vollab, Aebli,
Stüssi, Valdman, Erlach; Hallwyl, Keller &c. n'ont
pas à la vérité les terminaisons aussi harmonieuses que celles du Grec,
mais ces terminaisons n'ont rien de choquant: Enfin il n'est
pas dit que

Quant à la monotonie dans la description des différentes
espêces de Gouvernement semblable, elle ne seroit à craindre qu'en
faisant cette description desuite; or les différens cantons
(sauf les 3. premiers) n'ayant accédé à l'alliance confédération queà consécuti=
vement leur dans des Epoques très différentes, la'Esquisse des
principaux caractéres de leur ancienne forme auroit
je crois toujours assez d'originalité pour qu'il n'y eut rien
à craindre de ce côté. Sur l'article des Sources ou
<4v> puiser je crois que vous vous trompés, puisque sans parler de l'ouvrage
de Tschoudi qui avoit agi lui même et paroit avoir eu
une bonne tête, nous avons un gd recueïl de chroniques
authentiques et très anciennes. L'Embarras est au contrair=
re de poursuivre dès le moment ou la paix a comencé
à régner avec les puissances du dehors. Cette partie de
notre histoire est nonseulement difficile à écrire,
mais même dangereuse à écrire: difficile à cause
du manque de matériaux, et dangereuse parceque les
2 Siècles de cette paix dont nous jouïssons jad ayant vu nos consti=
tutions s'altérer, et les abus prendre la place des loix, il
ce seroit s'expôser aux haines et aux inimités et courir
le risque de susciter des troubles en rapellant présentant
l'histoire de cette Période dans son vrai jour.
Enfin si plusieurs Seigneuries ont été acquises à prix
d'argent par différens Cantons, elles 2 caractères biffure ce n'est que le plus petit nombre et il a fallu
ou s'en emparer, ou les deffendre les armes à la main,
et dans la suitte. 1 mot biffure En comparant cette ancienne
période de notre histoire avec Celle des Grecs il me
paroit aucontraire, que l'avantage est en nôtre faveur
principalement en ce que les petits Etats de la Grèce
n'ont jamais été réunis entr'eux, tandisque (sauf 2 ou
3 fois) 2 caractères biffure
aulieu que les Cantons ont constament été
réunis contre les mêmes ennemis du Dehors, et n'ont
été désunis que 3 fois, et cela même pour peu de tems.
Les peuples du Péloponêse ne cessérent par contre pas de se
faire pendant plusieurs siécles laes guerres les plus sanglantes.
Les Spartiates détruisirent les Messeniens. Les Athéniens
et les Spartiates se minérent pendt la guerre du Peloponese.
Sparte fut réduitte aux Abois par les Thébains. La ligue
<5r> des Etoliens fut longtems l'effroy des petits peuples de la
Grêce (Hellas); enfin la Ligue des Achéens guerroya
longtems contre les Péloponésiaques et surtout contre les Pel
Spartiates, avant d'être 2 mots biffure anullée par les Romains. De
tous côtés on ne voit que provocations, que haines, que
combats, que perfidies, et l'on diroit souvent que lesa Grecse sont
fut habitée par des races d'homes ennemies les unes des
autres: Le Siége de Zurich excepté, cités moi un seul éxemple
de guerre civile dans ces anciens tems de notre histoire. Ce Siége même n'avoit
pour but que de faire rentrer la ville dans la Confédération
et de l'enlever aux ennemis de celle ci. jusqu'à la fin de la ligne biffure
aussi parlé de toutes ces choses.. Quant aux conquêtes, vous
n'ignorés pas qu'après la mort de Charles le téméraire les
Cantons rétablirent le Duc de Lorraine dans ses Etats, et que
Louis XI ne s'empara de la Bourgogne qu'en ayant leur
aveux et ils refusérent les homages de la Franchecomté
qui vouloit s'unir à eux soit come confédérée, soit ou come sujette.
Les Apenzellois donnérent la liberté à une partie de la Souabe,
et ces honteuses campagnes d'Italie prouvérent au moins
quil ne tenoit qu'à la nation d'être conquérante avec succès,
mais il paroit que de bonne heure elle adopta le systéme
qu'elle a suivi invariablement jusqu'a la révolution de Genève, Systême
unique au monde, et dont l'observation offre un peuple guerrier
vivant en paix avec tous ses voisins, depuis près de 250 ans.
Cette longue paix avoit été achetée par 200 ans de
guerres continuelles et consolidées par une multitude un gd nombre
de victoires et qui 1 mot biffure valurent aux Suisses la Reputation du 1er peuple
guerrier de ces Siécles, et dont le Souvenir les garde prèserve peutêtre
autant que la politique et leur pauvreté 1 mot biffure des les attaques
du dehors... mais voilà assez sur ce chapitre, faites come vous
pourrés pour le lire et le comprendre.

<5v> J'ai ri de tout mon coeur à la lecture de 3 caractères biffurel'article de
votre lettre ou vous me montrés d'Eyverdun régénéré et
devenu un home d'ordre; après cet éxemple il sera permis
de croire aux régénérations dans l'age mur, mais cela dure=
ra t-il? Si j'en juge par moi qui ne suis pas plutot
rentré dans ma bauge que j'y dépose mes habits d'esclave
pour revêtir ceux d'home libre il me paroit tout à fait
impossible d'être amené même par un ami intime à une gêne
perpétuelle: c'est tout ce que l'on pourroit opérer la volonté d'une
amante. 5-6 mots biffure un sacrifice
à la seule coquetterie
Je vous prie de lui faire beaucoup de
complimens de ma part.

Je voudrois mon bon ami pouvoir vous donner de l'Etat de mon
coeur des nouvelles plus satisfaisantes que les derniéres, mais la
force de la vérité m'oblige à vous avouer que s'il y a eu
quelque amendement, il n'est point encore tel que je dois
le desirer pour mon repos... Mon bon ami! la raison est souvent
un meuble bien inutile et bien à charge: Heureux ceux que
le hazard ou la fortune unissent come suivant le voeu de leurs
coeurs! mais ce ne sera jamais le Cas de votre ami. Mon ame est
tellement accoutumée aux Sensations de la tendresse, qu'elle
ne peut me les reproduit par reminiscence 1 mot biffure et à la moindre
occasion pour me désespérer tout a fait. En vain je m'efforce
d'éviter tous les lieux ou la presence de je pourrois rencontrer
O; en vain je cherche à donner le change à mon imagina=
tion; en vain je me fortifie des armes de l'amour propre;
en vain j'1 mot biffure que je m'1 mot biffure je travaille en
vain je m'occupe d'objets sérieux et incompatibles (a ce quil paroit)
avec 1 mot biffure la tendresse, aussi longtems que je suis
occupé les choses vont à merveïlle mais suis je forcé
<6r> d'interrompre mes occupations pour un moment, aussitôt
la Sensation prédominante le met à profit, et je 2 mots biffure
que j aime
cela dure jusqu'à ce que l'occupation sérieuse recomence.
que faire à celà mon cher Polier? Contre les Ennemis du dehors
on ne se ne manque pas de moyens de deffense, mais contre
cet ennemi qui veïlle en au dedans de soi, croyés vous que l'on en trouve?
Jusqu'à présent du moins j'en désespére. Un home peut sans
doute prendre sur lui de reprimer des mouvemens illicites
et d'obéir aux préceptes de la raison, car c'est pour celà qu'il est un
home, mais il n'est pas le maitre de sentir, ou de ne pas sentir,. et
Il y a bien 3 Semaines que je n'ai pas rencontré O, je dis rencontré
parceque c'est toujours une rencontre de ma part. La Connoissance
Certitude ou je suis qu'elle est instruitte de ma façon de penser me
géne, et come dit Rousseau, ma Conscience s'arme
contre moi, malgré moi même. Le tems approche
ou je ne la verrai pas de plusieurs semaines
et peutêtre de plusieurs mois; parce que nous partons
serons quitterons bientôt la ville, et je ne me
propose guéres d'y retourner dans l'intervalle car j'aime la cam=
pagne fut ce même à novaya Zemlia, et je veux que mes os
repôsent un jour à l'ombre de quelque chéne ou servent à
l'accroissement de quelque beau noyer.

Vos détaïls sur votre petite famille m'ont ravi: que vous êtes
heureux d'avoir 2 enfans aimables! et que je suis charmé
surtout de l'opiniatreté de votre fils! car excusés moi
mon cher ami, sur ce point, mais je suis trés porté à croire qu'il
vaut mieux être obstiné et de col roide que fléxible, et
Le dernier vaut mieux sans doute pour faire fortune, mais
le 1er influe promet plus de vrai bonheur, avec soi même. On
va bien loin avec la fléxibilité, mais dans quel état revint-on
au logis?

<6v> Voilà donc notre ami De Loys pére en dépit du couperet, faîtes
lui en je vous prie mon compliment, en le priant de m'indi=
quer coment les choses ont pu recroître si vite. La Mothe
ne se marie t-il point de son côté? Coment va son éternel
procès? Je suppose, pu en vertu de mes connoissances pratiques
dans la chicane, que la moitié de la terre Seigneurie, et certainement
tout Longeville est déja la proprieté de quelque honnête
confrère Grippart.

J'espêre que vous m'aurés envoyé par le Voyageur un Exemplai=
re du Roman de me votre Soeur: quand je n'aimerois pas ces
sortes de productions, il me suffiroit d'en connoitre l'auteur pour
desirer vivement de faire connoissance avec l'son ouvrage, et
me rapeller à son souvenir. Je dévore les romans selon
mon coeur, et c'est par cette raison que j'évite d'en lire. Lorsque
j'ai lû quelques pages d'Héloise, de Verther, de Sigward ou de
quelques autres mon agitation est souvent telle qu'il me faut
prendre lair. La bonne poësie, et tout ce qui est fortement
écrit produit toujours le même effet sur moi. Un Conte de
Voltaire m'amuse et me réjouit, mais Rousseau la prose
de Rousseau me transporte, et je ne prends jamais quelqu'un
de ses ouvrages impunément: Quiconque peindra la nature
d'après elle même sera sur de m'intéresser, et si quiconque
placera fera de la Campagne le théâtre d'une grande passion
sera sur de m'ébranler: ne plaçai je pas toujours dans
les champs l'Etre imaginaire que j'aime, et que dont j'ai cru
2 fois retrouver les véritables copies? tanta fede é
si lungo costume.

<7r> Pourquoi mon bon ami avoir de la repugnance à entrer en
Conseil? Le Citoyen qui sert son pays dérogeat-il jamais
quelques insignifiantes minutieuses que fûssent ses fonctions? La place
d'un justicier de village est à mes yeux supérieure de beaucoup
à cet esclavage ton dont s'honorent auprès des tant d'homes
shonorent auprès des princes: Qu'est ce qu'un Chambellan? Un
honête domestique: et certainement le nom ne fait rien à la
chose. La 1ère fois que je vis tous les gds dignitaires présenter
les plats, tendre les assiettes, les reprendre, offrir à boire,
&c. à un home leur semblable, et probablement souvent leur inférieur
en connoissances, je gémis de l'avilissement de la nature
humaine, et je me sent me maintenant dans ma
place je me trouvai sur le champ fort audessus de tous
ces Laquais chamarrés. C'est en Italie que cette j'eprouvai je jouïs
pour la 1ere fois cette de ce 1 mot biffureSpectacle. et Servés mon bon ami, servés
vôtre patrie, elle a besoin de bons Citoyens, et mérite qdans le fonds qu'on l'ai=
me. Vous ne me faites point part de vos Etudes, et de vos
occupations, corrigés vous un peu sur ce point je vous prie.

Si vous saviés mon bon ami toutes les raisons que j'ai pour ne pas
attirer mes Compatriotes, vous m'excuseriés j'en suis sur auprés de Mr
B... On ne sort pas aussi facilement que l'on entre. et je ne
veux espérer de la liberté et la fortune de 1 mot biffure.
Je n'ai point trouvé
d'occasion pour expédier votre Carte: nous somes au bout du monde
et tout ce dont un voyageur veut se charger c'est d'une lettre. On en annonce
dans peu une nouvelle. Je continue à vous recomander les Lansk...
le Colonel est à 1600 verstes (400) lieues d'ici, et son Cousin à
Moscou ou il mange son bien avec une troupe de goujats.
Au comencement de ce mois nous avons eu 28 degrés de froid
pendt plusieurs jours, dès lors un dégel continu lui a succédé et
il ne nous reste bientôt plus de neige. Notre printems ressemble au
mois de Janvier de Lausanne, et avant 2 mois nous n'aurons pas
des feuïlles. heureux mortel qui voyés devant vous l'un des
plus  beaux paysages qu'il y ait au monde, sentés donc votre bonheur et profités-en.
Je vous quitte ladessus en vous priant d'offrir mes respects à toutes les personnes de votre famille que je prie bien fort
de ne pas m'oublier: ne m'oubliés pas non plus auprès de toutes les personnes qui m'ont acceuïlli et fait du
bien: adieu mon bon ami, mon cher ami, souvenés vous de moi, aimés moi. Vale Vale.

Note

  Public

Cette transcription a été établie dans le cadre du projet La Harpe et la Russie (1783-1795).

Etendue
intégrale
Citer comme
La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Polier, [s.l.], 11 avril 1786, cote ACV P René Monod 497. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/955/, version du 08.05.2017.
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