Transcription

Charrière de Sévery, Wilhelm de, Lettre à Catherine de Charrière de Sévery, Londres, 09 avril 1788-11 avril 1788

Londres Mercredy 9e Avril. Je comence ma lettre aujourd'hui chers Parens et je suis
dans l’attente de recevoir de Vos nouvelles au plutot, voila onze jours que Votre lettre 
est arivée, je n’ai jamais eté si longtems sans en recevoir, j’espere bien qu’elle n’est pas
perduë, lorsqu’on est si loin un manque de lettre inquiete, et cette inquietude ne sert
a rien. Dans peu j’aurai franchi les espaces qui nous separent, je quitterai la Voile 
avec plaisir, je reverrai mes montagnes avec transport, le sentiment de tendresse pour
les lieux de Votre naissance sont si fortements imprimés dans l’ame d’un chacun que
rien ne peut leur etre preferè, je me sens ce sentiment si vivement que mon desir
est inconcevable, je me vois au terme du moins a deux mois de distance, et je trouve
toujours que le tems s’arrette dans sa course, je me vois ici dans un sens come Robinson
dans son Isle c’est a dire seul , et fussiès Vous au Cieux si Vous n’aviès quelqu’un a qui
le dire, Vous ne jouissés pas de Vos plaisirs; je vois beaucoup de choses nouvelles
je fais mes remarques, mais ou sont ceux a qui j’aimerai les dire a deux cent lieues
j’ai bien Gibbon, mais qu’elle difference, avec Vous je parle et mon Coeur est sur mes
levres, et ici du moins faut-il encore avoir de la prudence, et je ne puis tout dire
Vous ne sauries croire combien cette douce societé de confiance, dont on ne jouit
que dans les liaisons reciproques come les notres me manquent cela fait eprouver
un vuide dans l’ame que tous les plaisirs, agrements de l’univers ne sauroient
remplir. Il me faut Vous et puis je suis content, je suis sur que tout ce que jecris ici
Vous le sentès come moi, n’est ce pas? Je vis ici une semaine come l’autre c’est un
cercle d’engagements pour des diners ou assemblées, Vendredy dernier je dinai
aupres chès le Comte Soderini Envoyé de Venise, ou je trouvai le plus singulier assemblage
de Gens possibles, des Italiens en grand nombres, des françois, Anglois &&. il y eut un
françois nomé le Marquis de Cassan de bien mauvaise façon qui fut presenté a Mr Gibbon en qualité
d’auteur, et il entreprit tout de suite Gibbon sur la politique et sur l’oeconomie des
nations lui faisant part de projet et plans infaillibles quelquefois a l’oreille
Il y avoit un Genois, que l’on dit aimable, mais qui est un sauvage pour les façons
qui fit son Compliment a Gibbon Mosiu dit-il j’ai lu Voutre livre dou fois et
je la relirai una troisiema, et a table il fut si fort sans façons mettant les
deux coudes sur la tables, se servant le premier && qu’il m’en prit un fou rire
terrible, si j’avois eu quelqu’un pr rire avec moi j’etois perdu, etant seul je me
retins. En nous en retournant Gibbon et moi nous rismes prodigieusement
il me dit qu’il n’avoit jamais entendu parler de Casan ni de son livre, et en
general nous convinmes qu’il n’etoit pas possible de voir un plus singulier
assemblages de gens, le même jour je fus le soir a une assemblée de jeunes gens
ou l’on dansoit mais etant en bourse a cheveux je ne restai que peu, et puis j’allai
dans un autre endroit, je trouvai a ce bal Mylord Elgin  avec qui refis conoissance
et un jeune Baron d’Amsleben de Berlin, qui vient de la France, avec qui je
parlai Allemand mais avec bien de la peine, Vendredi 11e Je fus hier absent tout le
jour, et en rentrant je trouvai Votre lettre du 22e  qui a eté bien du tems en chemin, et que
j’attendois avec bien de l’impatience, je la croyois perduë, Je verrai surement Gingin  et son
compagnon car quoique Londres soit imensse on s’y rencontre souvent, mais je saurai m’en
degager, d’ailleurs je ne puis rien faire pour eux et je ne romprai pas des engagements pr
les accompagner, je ne sais sans avec quelles recomandations ils viennent mais c’est cela qui
fait tout, et le premier pas est celui qui fait faire tous les autres, j’ai eu beaucoup de
bonheur d’etre sous Gibbon qui met en mouvement pr moi et qui je l’ai vu s’amuser de
me voir aller dans tant d’endroits; sans lui je n’aurois rien pus faire et la moitié des
etrangers qui arrivent ici ne voyent que le dehors des maisons. J’ai aussi beaucoup
d’obligations a Mr Trevor  qui s’est mis en quatre pour moi, sa feme est assès bone a mon
egard, mais le mari y va par bon coeur plus que Madame. Mr Trevor est fort aimé
et reellement il merite de l’etre. On trouve des Benjamin  et des Lessius ici aussi et
on n’a pas perdu le gout de plaire, Vous me comprenès? Voila donc Mr de Falk  parti j’en
doutoit toujours, quoique je trouvasse ses idèes ridicules je ne puis m’empecher d’entrer un
peu dans ses pensées, il croioit que l’autre lui etoit preferré et cela le persecutoit,
dailleurs la passion enfloit tout, et elle fait naitre des idées que rien d’autres ne
sauroit enfanter je Vous avoue que je ressens un serrement de coeur de ce depart
et que les larmes m’en viennent aux yeux, je l’aimois, plus même que Neptune , je Vous
assure, il me conoissoit et moi lui enfin j’en ai un vif regret. Il trouvera ailleurs
de quoi regretter Lausanne, et il apprendra a conoittre le prix d’une ville ou on
a trouvé des amis, peutetre reviendra t’il beaucoup plus aimable il faut se tirer
des endroits ou l’on éprouve des passions et voir cet endroit de loin, alors Vos folies
Vous sautent aux yeux, car dans la place même c’est come une fumée qui Vous
entoure et qui empeche a la verité de venir jusqu’a Vous, je ne sais si Vous me
comprenès mais pr ma part, j’ai vu mille choses d’ici a Lausanne qui sur les lieux
<1v> m’avoient paru tout a fait differentes, Enfin j’espere qu’il reviendra notre ami et
raisonable. C’est fort drole que Vous ayès trouvé Mr Coxe, et ce qu’il Vous a dit
l’est encore plus, nous raisonerons (car la plume n’est pas sure) sur ces differents
caracteres qu’il Vous a peint, pour le dernier article sur etre amoureux je
Vous assure qu’il n’en est pas la moindre chose, en General j’ai vu ici de belles
femes et filles (mais entre nous car je dis le contraire ici) je cherche encore ces beautés
dont la renomée vient nous chanter les charmes, je n’ai point eté si etoné,
et le propos de Vestris  qui disoit que la Duchesse de Devonshire  danse p come
une vache est impertinent, mais pas destitué de verite; j’ai vu a Berne
d’aussi belles femes qu’ici. Je comprends Cerjat  qui vouloit rompre la conversation
mais le pauvre Cerjat ne conoit que l’ancienne Angleterre, celle d’il y a 10
ans, mon Dieu qu’il est plat, il m’auroit bien oté toute envie de faire l’Anglomane
si jy avois eu du penchant, je n’ai jamais vu Mr Coxe et ce n’est pas lui avec
qui j’ai parlé Allemand c’est un Mr Dache. Voila donc Saconex  mort bon Dieu
tout fond autour de soi et lorsque je pensse a nos diner de la Cotte a Bursinel
il aux rochers du pauvre Saconex cela afflige. l’Isle a vendre je voudrois trouver
ici dans les trou en terre de quoi l’acheter. J’ai du foible pr lui come pr tous les
endroits ou j’ai passé quelques tems dans l’enfance, Monvert a filé come dit
Goudon , Vous ressouvenès Vous lorsqu’il disoit Mosieu des Chesoz n’a pas perdu
un coup des Dan. Mad. de Gumbens a laissé le champ libre a ses heritiers
ces 52 m. l. argent comptans qu’elle a peut-etre ramassès avec peines ne
l’ont pas empechée de mourir et seront peut-etre apresent dispersès avec
autant de facilites qu’ils couterent de peines a rassembler qu’elle leçon pr
certaines gens que nous conoissons, mais leçon qui ne fera aucun effet
veux tu? veux tu? Je vous vois d’ici Vous promenant dans Votre petit char
que je suis aise que Vous en ayès un, jy trouverai ma place dans peu
et je la remplirai longtems. Je suis en cherche pr une voiture j’en ai vu
une qui est bien ce qu’il nous faut double male, vache a double, coup de cigne
lanternes caves &&. et qui a l’air fort neuve mais le prix m’a fait reculer
130 guinées, le selier l’a fait passer pr neuves et moi je suis sur qu’elle ne l’est
pas, enfin je trouve et Vous penssès aussi come cela, qu’il seroit fou de doner
autant d’argent pr une voiture, j’aimerois mieux acheter du terrein
j’espere pourtant trouver a la fin mon affaire. Je croyois recevoir Votre
liste de comissions, par Votre lettre de hier, j’ai appris ce matin qu’il etoit
arrivé 4 ou 5 voituriers Suisses les Paches && je veux les voir, et supposès que
je trouve notre affaire pr la Voiture, il faudra qu’un d’eux me l’emene, car
elle seroit trop chere a emener d’une autre façon, j’en ai vu cent de voitures
pr une mais il est difficille de trouver justement ce que l’on desire, en tout
point. Pour le clavecin je n’ai point fait de recherches encore, mais je
m’en vais me mettre en mouvement pr cela, le tems coule ici on ne sait
coment ni a quoi, mais d’honeur on a pas le tems de faire ce qu’on veut
la Voiture de Mr Gibbon vient me prendre a quatre h. pour aller
causer une heure avec lui ensuite nous allons diner ensembles chès Sir
Josuah Reynolds  le Grand peintre, Je m’en vais reprendre le fil de mes
derniers huit jours j’ai quitté ma naration au Vendredy au soir, Samedy matin
je me promenai par la ville avec mon ami Mr Hamilton , je fus a St Paul
a la Bourse a la Banque a la maison des Indes occidentales, a une
fameuse taverne appelèe London tavern, aux moulins ouvrages a
eau près du port de Londres qui done de l’eau aux differents quartiers
de la ville, tout ces batimens sont beaux vastes, les maisons de comerce
propres en ordres on y voit un monde prodigieux tous occupès les uns prets
a faire voile pr Quebeck d’autres pr les Indes d’autres pr le Levant cela
est si curieux. St Paul est un ouvrage imensse il a coute 1500 mil. L. Sterl.
a batir et le même architecte a vu poser la premiere piere et la courone
ce qui est fort curieux remarquable, je revins a la maison bien mouillé car
<2r> il avoit fait un tems de chien je m’habillai en hate pr aller diner chès Mylord
Sheffield avec le General Clinton  et Mr Trevor puis après diné Mr Trevor et
moi nous allames a l’Opera dans la loge de Lady Hampden , pr entendre
Marquesi  qui chantoit pr la premiere fois, je fus charmé de sa voix, seulement
il fit trop d’agremens, Vous savès que c’est le premier chanteur de l’Italie
Dimanche je dinai chès Mr Tolemache avec qui j’avois eté presenté par Mr
Trevor, jy trouvai L. et L. Hampden et Mr et Mad. Trevor et autre compagnie il
y avoit un beau diné, après lequel Lady Hampden me mena a un concert
chès Lord Petre un Lord Catholique , ou j’entendis de l’exelente musique
il y a une drole de circonstance chès Lord Petre il a epousé la soeur cadette de
la feme de son fils de sorte que la soeur cadette se trouve belle mere de la soeur
ainée, Lundy je dinai chès Sir Abraham Hume  qui a une fille de 18 ans qui me
rappella bien Angletine, il y a 17 ans que Lady Hume n’a point fait d’enfans
et elle est grosse apresent le soir je fus prendre Lady Clarges qui me mena a
un bal chès un Mr Strande, ou nous etions 600 pers. dans la Contredanse
j’etois a coté d’un Mr qui noma L. Waren et je lui demandai en Anglois si il
savoit ou elle etoit que j’avois fait des persecuquisitions pr trouver sa demeure il
me repondit qu’elle etoit a 130 m. de Londres et que je ne pouvois mieux
m’adresser qu’a lui puis que Sir John avoit epousè sa soeur, je lui dis, J’ai donc
l’honeur de parler a Mr Clevernig &&. je trouvai cela plaisant de m’adresser
exactement a lui je fus au bal jusqu’a 5 h. du matin Lorsque je n’avois pas
de danseuse Mylord Elgin m’en procuroit, on changoit de Dame toutes
les deux dansses, je dansai avec L. Clarges, Miss Colmar, Miss North fille
de L. North, et miss Haywood cette derniere ressemble par parenthese a
P. Siguier, j’ai penssé que le nom de mes dansseuses vous amuseroit
Mardy je fus promené le matin dans Hyde Park et Kensington garden
je trouvai Mr Hale avec qui je me promenai une heure, il est toujours
le même faux, la duchesse de Cumberland  a qui j’ai eté presenté
me parle toutes les fois qu’elle me voit avec beaucoup de bontè, Hale veut
me faire croire que c’etoit par lui et sa feme, je fis la bête come Vous penssès
et semblois en etre persuadé, Mecredy le soir je fus chès Lady Hampden
et Miss Berry  pr les voir mais ni les unes ni les autres n’etant a la
maison je revins ici et me couchai j’etois lasse. Mecredy je dinai chès Lord
Sheffield et fus le soir a l’oratoire avec Mylady. Hier Mr Hamilton vint
me prendre et après avoir dejeuné nous primes un petit bateau et nous
dessendimes la riviere jusqu’a Grenwich fameux hopital pr les marins
on passa sous le pont de Londres et de Blackfriars en on descend la
Tamise au milieu d’une quantite inombrables de vaisseaux marchands et
de Guerres et Greenwich est sur le bord de la Riviere c’est un superbe
et Vaste Palais ou les marins sont entretenus il y a un hopital pr les
malades et un park fort beau le coup d’oeuil depuis l’Observatoire qui
est elevé au dessus de tout les maisons est magnifique, le Palais a Vos pieds
puis la Tamise couverte de batiments au dela la Campagne, et dans le
lointain Londres, ou l’on voit le Clocher de St Paul et mille autres eglises
nous y dinames, puis en revenant nous fusmes voir l’Albion Mill qui
est un moulin ou tout ce fait par la vapeur de l’eau chaude, cela est fort
curieux, et vaste. Nous finimes la journée en allant voir le tour de
chevaux de Huse mais rien n’egale notre Bal p. je revins ensuite ici
ou je trouvai Votre lettre, je me mis au lit et ce matin je Vous ai ecrit
Dimanche je dine ches M. Sheffield avec Mr de Calone Lord North &&
cela sera interessant et je me rejouis de Vous en rendre compte. Il y aura
demain 6 mois que je Vous ai quitté mes chers Parens, et cela a eté dix
siecles. Adieu je vais m’habiller pr joindre mon tuteur Gibbon, Mylord
Lucan  me rencontra seul l’autre jour et me demanda ce que j’avois fait
de mon Pere. Rien n’egale mon desir de Vous revoir, le soleil luit et
me rejouit c’est l’avant courseur de cette saison qui doit me ramener auprès de Vous.

<2v> Acheté cette pose de terre chere Mere nous y
irons dejeuner ensembles, cet eté, que nous ferons
et dirons de choses. Je n’ai point encore vu
Theophile Cazenove , je lui ai cependant fait
visitte et je laissai une carte il n’en a pas envie
a ce que je crois. Adieu chers parens mille amitiès
a Belon et remerciements a tous de Vos
interessantes lettres, Montrond  a t’il reçu
la mienne? c’est demain que Waalwick
part.

Part le 11e Avril 1788. N° 21.
je crois que je me trompai de N° a ma derniere lettre
et mis 19 au lieu de N° 20.


Enveloppe

A Madame
Madame de Severy
à Lausanne
Canton de Berne
En Suisse


Etendue
intégrale
Citer comme
Charrière de Sévery, Wilhelm de, Lettre à Catherine de Charrière de Sévery, Londres, 09 avril 1788-11 avril 1788, cote ACV P Charrière de Sévery B 104/2623. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/777/, version du 29.08.2017.
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