Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée XXXII. Lecture de la première dissertation de Schmauss sur l'instinct naturel des hommes », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 21 décembre 1743, vol. 2, p. 12-15

XXXII Assemblée

Du 21e Xbre 1743. Présens Messieurs DeBochat Lieute=
nant Ballival, Seigneux Bourguemaistre, Polier Professeur, Seigneux
Boursier, Seigneux Assesseur, Baron DeCaussade, DuLignon, D’Apples
Professeur, De St Germain Conseiller, Baron DeGersdorff.

On avoit pris la résolution dans la dernière Société de lire un
petit Livre sur le Droit naturel, qui a pour titre J. Jac. Schmaussii
Dissertationes Juris naturalis quibus Principia novi Systhe=
matis hujus Juris, ex ipsis naturae humanae instinctibus extru=
endi, proponuntur
. Gottingae 1740, petit 8° de 108 pages; Ce Livre est par=
tagé en six Dissertations. Afin qu’on put le lire plus commodément je
me suis chargé de le traduire;

Aujourdhui on a lu la prémiére Dissertation qui traitte, DeDissertation de Mr Schmauss, De l'instinct naturel des hommes, a fait le sujet de la Conférence.
l’Instinct naturel des hommes, je ne la copierai pas ici, d’un côté
parceque l’original Latin de ce Livre est commun, et de l’autre par=
ce que je joindrai ma Traduction à ce présent Livre dans un Cahier
séparé, auquel Monsieur le Comte pourra recourir, pour mieux en=
tendre les remarques qu’on a faites à ce sujet. Je n’en ferai pas non
plus un Abrégé, parce qu’on le trouvera dans les Discours que Mon=
sieur le Comte a lu, et ou il a donné un précis & des Dissertations
de l’Auteur & des sentimens de Messieurs les Membres de la Société.

L’Auteur a mieux réussi en considérant les prémiers mouvemens de laSentiment de Mr De St Germain.
nature, a dit Monsieur le Conseiller DeSt Germain, que ceux qui ne l’ont
pas fait. Il me paroit aussi qu’il a mieux dévelopé ces prémiers mouvemens
que ne l’a fait Hobbes. Celui-ci est tombé dans une erreur de fait; il a re=
gardé l’Homme comme appellé à partager les biens de la vie avec ses
égaux. Ce n’est pas là le point de vue ou il faut envisager l’Homme. Con=
sidérons les Hommes transportés par un naufrage ou par d’autres Causes
dans une Ile deserte, se battroient-ils pour jouir seuls des biens qui se trouvent
/p. 13/ dans cette Ile? Non sans doute, ils s’uniroient plutot pour se garantir des
maux qui les menacent, pour se défendre contre les bêtes sauvages, pour cul=
tiver les terres, pour se fournir par leur industrie toutes les choses dont ils
ont besoin. L’état de nature est donc un état de Sociabilité, et non un état
de guerre comme l’a cru Hobbes; & c’est de cette fausse supposition que sont
nées ces erreurs de Droit dans lesquelles il est tombé.

Monsieur DuLignonMr DuLignon. n’a pas voulu opiner.

Pour juger d’un Auteur, a dit Monsieur le Lieutenant BallivalSentiment de Mr le Lieutenant Ballival DeBochat.
De Bochat, il faut se rappeller son but, et l’opposition de ce but avec les
autres Systhèmes qu’il refute sans les indiquer. Mr Schmauss parle
de l’instinct, de la force de cet instinct, il dit qu’il est irrésistible, et au
dessus de toute règle, par où il paroit qu’en le suivant on violeroit
quelques uns de ses Devoirs. Mais ce Systhème n’a pour but que de
faire voir que ce principe vaut mieux que les autres. Le sien dévelo=
pé dans la suite paroitra peut être le plus naturel.

En cherchant des Régles pour diriger la Nature, il faut la connoi=
tre & savoir en quoi elle peut être réglée, et en quoi elle ne peut pas
l’être. Sans ce point de vue on pouroit critiquer son plan; mais ces dif=
ficultés s’évanouïront, ou seront au moins suspendues, jusqu’à ce qu’on
ait vu, si ses Principes sont opposés aux Régles. Quand on les aura vu
dévelopés qu’on les compare avec le Systhème commun & avec celui de
Hobbes, et on sentira mieux alors ce que celui ci a de bon & ce qu’il a de
defectueux.

Je remarque que de quelque part que l’on parte on arrive au
même but, quelque Principe que l’on pose; on en vient également à
établir les Régles qui contribuent à rendre la vie heureuse et la nôtre
et celle des autres: ce qui paroit une faveur du Créateur.

Monsieur le Professeur D’Apples a dit que les Principes de laSentiment de Mr le Professeur D'Apples.
Nature sont la vraie Régle du Droit naturel. L’Instinct ou les Desirs
naturels, selon notre Auteur, c’est le desir de se conserver, l’esperance et
la crainte. Monsieur Schmauss oppose ces Principes à la droite Rai=
son, en quoi il se trompe: il est vrai qu’il appelle droite Raison ce qui
ne l’est pas; l’idée qu’il en donne est tout à fait fausse, il dit qu’elle est
sujette à se tromper &c. La Raison au contraire est une lumière pure;
destinée à régler nos Inclinations. La différence qu’il y a entre l’Homme
et les Animaux c’est la Raison, qui fait que les Inclinations naturelles
communes aux Hommes & aux Animaux, se rapportent chez l’Homme
au bien de chaque Individu et à celui de la Société. Les Inclinations
ont été sagement établies par le Créateur, pour nous porter plus ef=
ficacement à la recherche de plusieurs choses que nous ne le serions
/p. 14/ par le secours de la Raison seule. Au reste par ces Inclinations sagement
établies de Dieu, il ne faut entendre que les prémières Inclinations, et non
pas les Inclinations que la corruption a changé, ou fortifié.

Sentiment de Mr le Boursier Seigneux.Le Systhème de l’Auteur suppose le moins, c’est Monsieur le Bour=
sier Seigneux qui parle, or ceux qui font le moins de suppositions, et
qui par la même remontent aux prémiers Principes sont les plus vrais.
Ceux qui posent pour Principe la Sociabilité, le Decorum, le Gout pour
la Guerre sont moins simples. Dans ce Systhème ci deux choses peuvent
arréter l’Homme, la Raison et les Loix.

En parlant de l’Instinct l’Auteur auroit du distinguer l’instinct des
Animaux d’avec celui de l’Homme. Les Animaux ont des Instincts irrésis=
tibles, et d’autres ne le sont pas: il auroit du chercher ensuite en quoi
l’Instinct de l’Homme lui ressemble. Comme l’Instinct nous détermine
& nous pousse vers certains objets l’Homme a plus de mérite quand il
y résiste, mais il est aussi moins coupable quand il le suit. On en trou=
vera qu’on ne peut point modérer, d’autres qu’on ne modère qu’avec pei=
ne, d’autres enfin qui sont très foibles. Il faut donc démèler la diffé=
rence des Instincts des brutes et de l’Homme, et marquer aussi tout ce
que l’éducation ajoute à la Nature. On connoitra par là la Régle de
l’Imputation, et jusqu’à quel point un Homme est responsable des actions
qu’il fait. On connoitra encor par là quelles sont les bonnes Loix; ce
seront celles qui suivront le plus la nature de l’Instinct.

Monsieur le Baron DeGersdorf n’a pas voulu opiner sur la matièreSentiment de Mr le Baron DeGersdorf.
il s’est contenté de faire l’Histoire de Mr Schmauss. Il nous la représenté
comme un grand Génie, qui a beaucoup de lumières, et de réputation, qui
a des emplois considérables, mais dont les mœurs n’ont pas été et ne sont
pas même aujourdhui bien réglées. Je ne raporterai pas tout ce qu’il en
a dit; ceci suffisant pour faire connoitre le caractère de l’Auteur.

Monsieur le Baron DeCaussadeMr le Baron DeCaussade. n’a rien voulu ajouter.

Sentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.Monsieur le Bourguemaistre Seigneux a observé dans l’Auteur quel=
ques maximes qui ne sont pas justes: par exemple, celle ci, Que les incli=
nations des Hommes sont opposées entr’elles. Elles se rapportent à re=
chercher des biens, des honneurs & des plaisirs. Il ne comprend pas com=
ment cela est utile au Systhème de l’Auteur. L’Auteur dit encor que la
vengeance est utile pour assurer la vie des Hommes, et cependant il dit
ensuite que cette vengeance est souvent poussée trop loin: ces deux proposi=
tions se contredisent; car si je pousse trop loin la vengeance pour ma dé=
fense, celui contre qui je l’aurai exercée, se croira en droit de se venger
de moi à son tour; ainsi il pourra arriver que je succomberai; la vengeance
n’est donc pas utile pour assurer la vie des Hommes. Lorsque les Hommes
/p. 15/ sont en Société l’autorité des Loix vaut mieux pour assurer la vie de
chacun. La 3e proposition que Monsieur le Bourguemaistre a critiqué
est ce que dit l’Auteur, que l’Inclination des deux Sexes est nécessaire au
bien de la Société; on pourroit appeller ce penchant plutot du nom d’ap=
petit, que du nom d’inclination; car ce dernier terme designe un desir
modéré; outre cela s’il étoit plus foible, il seroit bien plus utile à la
Société.

Monsieur le Professeur Polier a dit que le Systhème de l’AuteurSentiment de Mr le Professeur Polier.
paroit l’éponge de toute Religion. Par exemple, il pose pour principe
du Droit le desir de la Vie, mais par la Vie il entend une Vie agréable.
Cela est sans justesse. Il parle de la différence des inclinations comme du
principe de la Sociabilité, et en détaillant ces inclinations, il ne parle que
de celles qui sont des vices; par ou il détruit le bonheur de la Société. Mais
il n’a pas voulu pousser ses remarques plus loin, jusqu’à ce qu’il ait
vu l’usage que l’Auteur fera de ses Principes. Il parle de l’Instinct
comme plus fort que les Loix, et il dit qu’il est tel qu’il n’y a que la vi=
olence qui puisse le reprimer, ce qui va à détruire toute Religion. Cela
va à établir non la Religion, mais l’Epicuréisme, et toute sorte de crimes.

Monsieur l’Assesseur Seigneux trouve que le Principe de l’AuteurSentiment de Mr l'Assesseur Seigneux.
est le plus judicieux de tous ceux qu’on a établis jusqu’ici. La Raison se=
lon lui, le prémier Principe dont les Hommes se servent pour regler leur
conduite. Le penchant ou l’Instinct se dévelope le prémier; la Raison se
dévelope ensuite et corrige les abus & les excès de l’Instinct.

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Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée XXXII. Lecture de la première dissertation de Schmauss sur l'instinct naturel des hommes », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 21 décembre 1743, vol. 2, p. 12-15, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/540/, version du 24.06.2013.
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