Transcription

La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Monod, [s.l.], 19 février 1788

Le 19e Fevrier 1788

C'est du plus loin qu'il me souvienne Seigneur Assesseur, que j'ai écrit
à votre Seigneurie baïllivale, et ne vous en déplaise depuis le 11e 7bre
vous n'avés pas mis à la plume pour m'écrire une Ligne; cependant je
vous ai écrit le 5e 8bre, et vous avés mille et mille choses à me
dire, tandis que je ne puis riposter qu'en vous parlant de mon
moi, et de mes éternelles Jérémiades; convenés donc que vous avés tort,
tort, tort. et Je prie Me votre épouse de vous en punir, la
créant si elle veut bien le permettre mon ambassadeur ad hoc; ain=
si soumettés vous à ce qu'il lui plaira ordonner, et mandés moi le
tout afin d'être bien sur que justice a été faitte.

Je comence par vous apprendre le que Dmitri L. a été fait
1er Major d'Armée et est parti pour l'armée. Le voilà donc en
chemin de faire fortune, ne fut ce qu'en avançant à son
rang, et pour peu que la guerre dure, et que les Turcs lui
laissent sa tête, ses bras ou ses jambes, il doit avoir un régi=
ment au bout 7 ou 8 ans. La fortune de Serguéï n'est
pas en aussi bon train: il est moins intriguant que son frère,
que les femes seules ont placé, et il ne lui sera pas extrêmement
facile d'avancer. Tous les deux sont avec raison extrêmement
reconnoissans de vos soins, et vous aiment tendrement.

Je vous annonce mon ami de Moudon pour Avril ou
Mai. Les Déboires affreux qu'il éssuyoit depuis 3 ans qu'on
le berçoit d'espérances lui l'avoient rendu si malade qu'encore
quelques mois de plus et il eut été un home mort. Depuis 4
mois il avoit demandé inutilement sa Démission sans pouvoir
l'obtenir; enfin par un bonheur insigne il a pu être connu de
l'Imp. qui la pleinement vengé en lui accordant la croix de Vladi=
mir, 500 Ducats, une pension viagère de 900 roubles (3600 £ de france)
et sa Demission avec faculté de rentrer s'il se rétablit. Il avoit
le plus grand besoin de respirer un meilleur air et de fréquenter
d'autres gens, ayant la Santé aussi altérée que l'humeur.

<1v> Quoique nos passions et nos goûts fussent tournés vers des
buts bien différens, 2 mots biffure des principes comuns, des services
mutuels, et une longue expérience de nos bonnes et mauvaises
qualités nous avoient rendu nécessaires l'un à l'autre. Je
perds en lui un ami zélé, discret et sur qui je pouvois compter
à tout instant, et cette perte est plus grande ici que partout
aïlleurs, aussi je le regrette tout en desirant qu'il pa
me quitte, parceque je crains les retards pour sa santé.
Je vous le recomande à son retour, fa vous êtes deja
vous vous connoissés mutuellement, et malgré votre
éloignement pour les nouveaux visages, je suis assuré
que vous serés bien aise d'avoir de le connoitre mieux.

Vos exhortations mon bon ami! pour m'appaiser, seront
je pense d'hors enlà inutiles: J'ai pris mon parti, et
coûte qui coûte je j' poursuivrai, à moins qu'un de ces futurs
Contingens ne vint me déranger mes encore. Tranquille du
côté de l'avenir, je prends mes précautions pour n'être
pris en aucun tems au dépourvu. Au fonds ce que
je sçais peut me procurer partout un sort, fussai je
réduit à tenir écôle come Denis, et j'ai chaque
jour aide à cette idée de mon indépendance 1 mot biffure
individuelle. Je m'acquitte de mes devoirs come se
pouvant être apellé à en rendre un compte public,
et come desirant d'avoir à le rendre. Peut être vous
enverrai je cette fois dles Extraits des passages les
plus forts di que j'aye dicté, sinon en entier, du
moins en partie: conservés les, faites les copier, mettés les
en ordre, et si j'étois jamais malheureux
<2r> par la pré contre les puissans de ce monde, ou si
je mourois avant d'avoir pû ri achever, sauvés la
mémoire de votre ami, en faisant connoitre les prin=
cipes de sa conduite, et le langage qu'il a tenu dans
une Cour
au milieu de la Cour, et l'approbation de
ces maximes par une Princesse justement célèbre.
Peut être mon bon ami y at-il d trop d'orgueil
dans cette réquisition... Eh bien... 1 mot recouvrement je n'en suis pas tout
à fait éxemt, mais je m'excuserai avec ce passage
de Tacite que je m'applique pourtant pas dans son
entier: Erant, quibus appetentior famae videretur
quando étiam sapientibus cupido gloriae novissima
exuitur
(Hist. Lib. IV. § VI.)

J'ai du me remettre pour quelque
tems aux mathématiques, en par=
ticulier aux Elémens, qu'il est si
difficile dans toute science de ramener
aux premieres vérités sans faire de
saut: cela m'a donné beaucoup d'en=
nuis 3 mots biffure avec quelques lumières de plus, et
l'on ne doit jamais regretter le tems et les peines qu'on donne
à acquérir celles ci. Je me suis délecté ces jours ci à
lire les 7 tragédies de Sophocle qui ont été traduites
mot à mot, avec toute l'énergie et l'harmonie poëtique
en allemand par un Comte Stollberg dont le frère a
traduit l'Iliade en vers admirables. Je ne m'étonne plus
si à présent de l'admiration que l'on a eue de tout tems
pour ces pièces, puisque l'a simple impression que 'a m'a faite sur
moi la traduction m'est encore présente au moment où
je vous écris. Oh! pourquoi avés vous négligé votre allemand!


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Monod Docteur ès Droits
Assesseur baïllival &c.
à Morges Canton de
Berne, en Suisse
 


Note

  Public

Cette transcription a été établie dans le cadre du projet La Harpe et la Russie (1783-1795).

Etendue
intégrale
Citer comme
La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Monod, [s.l.], 19 février 1788, cote  BCUL IS 1918/H33, 121. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1097/, version du 05.04.2019.
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