Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 18 septembre 1725

A Groningue ce 18 Septembre 1725.

Je me reproche, Monsieur, d’avoir tant tardé à vous écrire. Mais, outre que, depuis
vôtre derniére Lettre reçuë, il se passa quelque tems sans que je pusse savoir
des nouvelles de celle que vous eutes la bonté de m’envoier pour Mylord Townshend;
j’ai été fort distrait, après cela, par des visites, ou des embarras de réparations qu’on
faisoit dans ma Maison. Ainsi vous m’excuserez, si je ne vous ai pas plûtôt remercié
de vôtre obligeante recommandation; du Livre de Mr de Muralt, que nous reçûmes, Mr
de Crousaz & moi, de vôtre part, peu de tems après.

La lenteur des Imprimeurs, & autres retardemens, furent cause que ma Défense du
droit de la Compagnie des Indes Orientales
ne parvint en Angleterre que peu de tems avant
le départ du Roi pour Hanover. J’écrivis moi-même à Mylord Townshend, en lui
envoiant vôtre Lettre. Mr Coste lui présenta le paquet, avec quelques exemplaires
de ma Défense. & un exemplaire de Grotius. Il reçut cet Ami fort honnêtement,
lui fit prendre du chocolat, & lui témoigna qu’il connoissoit son mérite. Pour ce qui est
de moi, il l’assûra plus d’une fois, qu’il ne manqueroit pas de présenter au Roi ma
Défense &c. Voilà tout ce que je vous puis apprendre là-dessus. Peut-être que ce
Seigneur vous aura répondu. Sur tout si vous lui avez encore écrit en droiture, comme
vous me disiez que vous vouliez le faire. Quoi qu’il en soit, je vous suis infiniment
obligé de la vivacité avec laquelle vous lui avez témoigné vous intéresser pour moi.

J’espére que vous aurez reçu en son tems ma Défense du droit de la Compagnie &c.
que je vous fis envoier. Si vous voulez savoir jusqu’où s’est étenduë la libéralité des
Directeurs de cette Compagnie, à la discrétion desquels je m’étois remis, je vous dirai,
qu’ils m’ont fait présent de cent ducats. Je n’ai point appris, que les Avocats
de la Compagnie d’Ostende aient rien publié depuis sur cette dispute. Un Anglois
nommé Mr Forman, Jacobite repentant, a fait imprimer en Anglois une
Piéce (dont j’ai vû aussi le titre en François) dans laquelle, laissant à part la question de
Droit, il s’attache à montrer le préjudice que la Grande Bretagne, aussi bien que
la Hollande, recevront de l’établissement de cette nouvelle Compagnie.

Vous aurez sû, qu’on a rimprimé à Amsterdam, en petit caractére, le Livre de Mr
de Muralt. Je ne doutai pas que cela n’arrivât, dès que j’eus vû l’Edition de Genéve,
dont je vous suis redevable. C’est dommage qu’un tel génie se soit livré à une
Imagination déréglée. Quand je pense à cet example, & à d’autres qui se présentent,
peu s’en faut que je ne souscrive à ce que disoit Senéque: Nullum magnum ingenium
sine misturâ dementae umquam fuit
.

Je ne doute pas que vous n’ayiez appris, que Mr de Crousaz vient d’être élû pour
Associé Etranger de l’Académie Royale des Sciences. Il en a reçû avis par Mr de Reaumur; &
on lui a envoié aussi de Lausanne une Lettre de Mr Saurin, qui l’en félicite, ignorant
son établissement dans ce païs. La nouvelle Edition de sa Logique, en 4. volumes, vient de
paroître à Amsterdam. Il a publié ici quelques brochûres; Logicæ Compendium: Summa
Logica
: Tentamen novum Metaphysicum: De Physicæ utilitate: Essai de Rhétorique

<1v> dans la Traduction de quatre Harangues de Tite Live, avec des Notes. On va imprimer de lui encore un
Traité de Mens Humana. Je lui dis hier, que je voulois vous écrire: il me chargea de vous faire ses
complimens, en attendant qu’il vous donne lui-même de ses nouvelles.

Nous perdimes Mr Chauvin, au mois d’Avril passé, aiant atteint l’âge de 85. ans. Mr Noodt,
Professeur à Leide, est mort il y a un mois, âgé de 78. ans. Il étoit comme Emeritus depuis deux ou
trois ans: & comme pendant ce tems-là on avoit appellé un autre Professeur en Droit de Franeker, je regardois
sa place comme remplie d’avance. Cependant on dit, qu’on doit appeller un nouveau Professeur. Le
bruit a même couru d’abord qu’on pensoit à moi. Mais je n’ai fait aucun fonds là-dessus; d’autant plus
que je suis bien résolu de ne solliciter ni directement, ni indirectement: au lieu qu’il y a toûjours assez
de gens qui, en pareilles occasions, remuent ciel & terre pour eux, ou pour leurs Amis. Effectivement j’ai
sû, qu’un Mr Heineccius, Professeur à Franeker, Allemand & Lutherien, courut d’abord en Hollande, &
1 mot biffure emploia beaucoup de sollicitations en sa faveur. Il y en aura eu d’autres apparemment. Je
ne sai point encore, à quoi se seront déterminez les Curateurs de cette Université. Ce qu’il y a de
sûr, c’est qu’on aura bien de la peine a reparer en quelque façon la perte d’un jurisconsulte
si habile & si judicieux, & ce qui est encore plus, si pacifique & si honnête homme.

La nouvelle Edition du Concile de Constance, par Mr Lenfant, est fort avancée, & s’imprime
assez vîte. Elle est fort augmentée. J’attens une Vie de Chillingworth, que Mr Des Maizeaux
m’envoie, apparemment en Anglois. Il y a, depuis long tems, une Traduction Françoise que quelcun avoit
faite des Œuvres de ce judicieux Auteur, mais qu’Humbert ne voulut pas imprimer, je ne sai pourquoi,
bien qu’il l’eût promis. On fait esperer, que quelques Libraires de la Haye pourront bien l’entreprendre.
Madame de Rapin a envoié à celui qui a imprimé l’Histoire d’Angleterre, la continuation que
feu son Mari a laissée, & qui doit aller, si ce qu’on a publié est vrai, jusqu’à la Révolu-=
tion de 1689. On m’écrit de Londres, que les Mémoires de feu Mr Burant donnent bien de
l’occupation aux Imprimeurs, par les Réponses qu’on y fait. Il y en a déjà plus de 20. Sans compter
les Remarques, Observations &c. & plus de 50. au dernier Livre de Mr Collins. Un Mr
King, du Collége de la Trinité à Cambridge, a un Euripide prêt à mettre sous la presse.
Mr Blackhel, qui publia, il y a quelques années, des Dissertations sur les Auteurs Classiques, que
l’on dit être estimées, en a donné depuis peu sur les Auteurs Sacrez, où il tâche de justifier
les solécismes, barbarismes, & autres fautes de stile, qu’on prétend trouver dans le Nouveau Testament.

On imprime à Amsterdam une Rélation de l’affaire de Thorn, par Mr Jablonsky, traduite
en François par Mr de Beausobre le fils. Vous aurez vû apparemment à Genéve, le Projet d’une
Histoire de ce siécle, que Mr du Limiers, Gazettier d’Utrecht, a publié, par souscription. Je ne
sai d’où il a tiré les Mémoires Mss. qu’il dit avoir achetez. On en est au Tome III. de
la nouvelle Edition de Montagne. L’Edition de Londres, qu’on a contrefaite à Paris, sera
ici fort augmentée de nouvelles Notes. J’ai fourni moi-même à Mr Coste bien des citations, dont
j’avois eu occasion de trouver la source en lisant cette belle Edition d’Angleterre. On a recommencé
d’imprimer la Bibliothéque Françoise, qui avoit été interrompuë pendant une année. Je ne sai si Mr de
la Chapelle
, qui a été appellé à la Haie, à la place de feu Mr Basnage, aura le tems, ou la
commodité, de continuer sa Bibliothéque Angloise.

Il me tarde bien, Monsieur, d’apprendre des nouvelles de vôtre santé. Je souhaitte qu’elle soit meilleure
que par le passé. Ma femme vous saluë: elle & moi présentons nos respects à Madame Turretin.
Je suis avec les sentimens les plus vifs & les plus respectueux, 

Monsieur,

Vôtre très-humble &
très-obéïssant serviteur,

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin (Jean Alphonse) Pasteur &
Professeur en Theologie & en Hist: Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Groningue, 18 septembre 1725, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 241-242. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/997/, version du 10.02.2024.
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