Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 14 mars 1717

A Lausanne ce 14 Mars 1717.

Ce n’étoit pas une nouvelle en l’air, que celle dont je vous parlai, Monsieur,
en vous écrivant il y a quelques semaines. Je viens de recevoir mes Lettres de
Vocation des Curateurs de l’Université de Groningue. Les Etats de la Province
approuvérent la nomination des Curateurs le 23. du mois 1 mot biffure; les Lettres de Vocation
ont été expédiées le 27. Il faut que je réponde incessamment, par la poste de Mardi: 
je voudrois pouvoir avoir de vos nouvelles avant ce tems-là; mais il n’y a pas
moien. Et après tout, je pense que vous ne me conseilleriez pas d’autre parti, que celui
que j’ai pris, après avoir pensé et repensé depuis le prémier avis que j’eus indirec=
tement; c’est d’accepter. Je suis dans un païs où il n’y a rien à faire, & où la
Fainéantise & l’Ignorance prennent de jour en jour de plus fortes racines. La
pension que j’ai, ne suffit pas pour vivre seulement; point de leçons particuliéres, ou
fort rarement, & mal paiées. On m’avoit promis & repromis une Maison, qu’on ne
m’a point donnée. Que faire ici? Sans les Amis que 1 mot biffure j’y ai, & ceux
de Genéve, sur tout vous, Monsieur, quedont j’avois le plaisir de recevoir quelquefois des
nouvelles, & que je pouvois voir quelquefois; je n’aurois assûrément rien à regretter.
J’accepte donc, & je demande seulement certaines choses, qui tendent à régler ce qui regarde les frais de
mon voyage, & à prévenir les cas qui pourroient arriver, à cause que je n’ai jamais pris
le degré de Docteur. Quoi que l’on ne suppose nullement cela dans les Lettres de Voca=
tion, il vaut mieux que tout soit bien réglé d’avance. Je veux tâcher de passer
par Paris, si je puis obtenir un passeport, comme j’espére que cela ne sera pas difficile,
par le moien de Mr de Torcy. J’aurai par là le plaisir de vous voir en passant,
& de vous demander vôtre benediction pour moi & ma Famille.

Les avantages qu’on m’offre, sont considérables, d’autant plus qu’à ce qu’on me
mande d’Amsterdam, il fait bon vivre à Groningue. J’aurai quinze cents florins,
paiables réguliérement, tous les trois mois (au lieu qu’à Leide où il fait d’ailleurs cher vivre,
on est très-mal paié) & outre cela une Maison, avec un Jardin. Ce dernier article me
fait beaucoup de plaisir, à cause que le loier des Maisons est ce qu’il y a de plus cher en
Hollande, & parce que, comme vous savez, c’est un grand embarras d’être obligé à
déménager de tems en tems. Un autre agrément que j’aurai, c’est que nous serons
trois Professeurs François dans cette Université. Mr Rossal, qui avoit été appellé à
Francker, à la place de Mr Bos, demeure à Groningue, où on lui a augmenté ses
gages, pour l’arrêter. Et on appelle en même tems que moi, pour une Chaire en
Droit, Mr Toullieu, qui étoit Professeur à Lingen. Deux chaires de Théologie
vacantes (je ne sai si l’une de l’étoit pas par la mort de Braunius, mais au moins il
est mort, & je n’en suis pas fâché) ces deux Chaires, dis-je, ont été remplies en
même tems par un Mr Driessen, Pasteur de l’Eglise Flamande d’Utrecht, & Mr
Verbruge, déja Professeur à Lingen. Le dernier n’aura que 1200 florins, non plus
que Mr Toullieu. On rappelle encore Mr Bernoulli pour la même Profession
<1v> en Mathématiques qu’il y avoit exercée il y a dix ou douze ans: mais il y a des
gens qui croient qu’il n’acceptera point. Ses Lettres de Vocation sont parties par la
même poste, que les miennes.

Mr de la Motte, qui, à cause des grandes occupations qu’il avoit euës depuis quelque
tems, ne m’avoit pas écrit depuis plusieurs mois, l’a fait encore si fort à la hâte,
qu’il ne me dit presque rien: mais il promet de m’écrire par la prémiére poste, & ainsi
je pourrai recevoir demain sa lettre, où il me mandera sans doute des nouvelles literaires,
Le Boileau d’Amsterdam en grand & en petit, est achevé. On a fait grande diligence,
& je ne sai où les Libraires de Genéve
débiteront désormais leur deux Editions, qui sont chéres.
La nouvelle Edition des II. & III. Tome de Tillotson n’est pas encore commencée, non
plus que celle du petit Pufendorf; mais on les commencera bien tôt. Vous avez vû
sans doute la 1.e Partie du I. Tome de la Bibl. Angloise de Mr de la Roche, dont
il est venu plusieurs exemplaires ici de Genéve. Je crois que l’on souhaittera la continua=
tion de ce nouveau Journal; autant que j’en puis juger pour l’avoir parcouru.

J’espére, Monsieur, que pendant le tems que je resterai encore ici, vous me ferez la
grace de me donner de vos nouvelles le plus souvent qu’il vous sera possible. Je ne compte
pas de partir jusqu’au mois de Juin. Je ne me donnerai aucun mouvement, jusqu’à ce
que j’aie reçû réponse à ma Lettre. J’aurai même voulu cacher la chose jusques-là,
s’il avoit été possible. Mais comme il falloit en parler à plusieurs Amis, il étoit bien difficile
que la mine ne s’éventât. Je suis & serai toûjours, Monsieur, avec respect
Vôtre très-humble & très-obéïssant
serviteur

Barbeyrac


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur
en Théologie & en Hist: Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 14 mars 1717, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 204-205. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/975/, version du 10.02.2024.
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