Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 28 mai 1715

A Lausanne ce 28 Mai 1715.

Je n’eus pas le tems, Monsieur, de vous écrire, en vous envoyant Dimanche passé un
paquet, que Mr De Lignon vous aura fait rendre. Il ne croyoit pas lui-même de
partir ce jour-là, & je ne pûs que faire à la hâte le paquet. Vous y trouverez, avec la
Bilibra Veritatis de Guil. Vorstius, la dissertation de Mr Thomasius, de Concubinatu, reliée
à la fin des Obser. Juris. de Bynckershoek. J’y ai joint un exemplaire de l’Edition qu’on a
faite à Amst. de mon Discours sur les Sciences.

Je reçûs la semaine passée vôtre dispute de Necessitate Revel. que j’ai luë, comme tout ce
qui sont de vôtre plume, avec beaucoup de plaisir & de profit, & dont je vous rens très-humbles
graces. Mr Reinaudin, qui me l’apporta, peut compter que je rendrai ici à son
fils tous les services dont je serai capable.

Puis que vous ne jugez pas mon Discours des dern. Promotions indigne de voir le
jour, & que vous avez la bonté de m’y encourager, vôtre suffrage m’est un garant que le Public
le recevra favorablement. Je vous suis très-obligé de ce que vous avez de vous-mêmes
parlé pour l’Impression à Mrs Fabri & Barrillot. Je vous avouë, que, comme je leur
ai donné le prémier, je leur donnerois volontiers à imprimer celui-ci, & le troisiéme, que je
serai obligé de destiner au Public, par cela même que j’aurai mis au jour le second,
dont il sera une suite. Mais je ne voudrois pas que ces Messieurs se chargeassent
de l’Impression à contrecœur; parce que je ne suis nullement en peine de trouver ailleurs
des Libraires, sans que je sois obligé de les prier. Je ne voudrois pas non plus, qu’ils y
perdissent, comme ils semblent le craindre par ce qu’ils vous ont dit; quoi que je ne 
comprenne pas bien comment l’édition de Holl. a pû nuire à la leur, puis qu’elle ne
s’est faite qu’au commencement de cette année, & qu’on n’a pû en avoir des exemplaires à
Genéve que depuis peu (je ne l' n’ai reçû moi-même cette Edition que depuis dix ou douze
jours). De sorte que s’ils n’ont débité que peu d’exemplaires de leur Edition, il faut
ou qu’ils aient négligé d’en envoyer où ils auroient peu
en vendre; ou que l’Ouvrage
ne soit pas de bon débit, & en ce cas-là, je ne leur conseillerois pas de se charger
d’un autre Discours, qui n’est pas meilleur. Il est pourtant certain, que l’Edition de mon
Oraison Inaugurale, qui fut faite ici, fut débitée en peu de tems, quoi qu’elle fût en
Latin, & qu’il y en eût une autre d’Amsterdam, où j’avois fait quelques petites corrections 

& additions. Quoi qu’il en soit, si ces Mrs, qui sont d’ailleurs apparemment fort occupez
à d’autres choses plus considérables, n’ont pas grande envie d’imprimer cette nouvelle petite
Piéce, je n’ai garde de vouloir les gêner, & je vous prie, Monsieur, de ne pas les
presser là-dessus. Je n’ai nulle impatience de faire imprimer mon Discours, & le Public n’a
pas plus d’impatience de le voir. Tout l’avantage que j’aurois à le faire imprimer à Genéve,
c’est qu’il pourroit paroître plûtôt; car du reste je trouverai peut-être mieux mon compte
à le faire imprimer en Hollande. Vous verrez par l'exempl. du précedent, que j’ai eu l’honneur
de vous envoyer, que l’Edition en est bien plus belle que celle de Genéve, dont le papier
est assez mauvais; & où d’ailleurs, par une petite lezine, on a défiguré les trois derniéres
<1v> pages, en changeant le caractére. Si je le fais imprimer en Hollande, je pourrai me
dispenser d’en faire autant de présens, que s’il est imprimé dans le païs; car je puis vous
assûrer que des 150 exemplaires que ces Mrs me donnérent, il ne m’en reste pas six.
Cependant, Monsieur, je laisse le tout à vôtre conduite, & je ferai ce que vous
jugerez à propos.

Au reste, j’ai bien senti la peine qu’il y a à bien comprendre le sujet de mon discours
par le titre. La maniére dont vous le changez, ne laisse rien à desirer. Cependant ne
pourroit-on pas concilier tout, en mettant: Discours sur la permission des Loix, où l’on
fait voir que tout ce qui est permis par les Loix n’est pas toûjours juste &
honnête
.
Je crois maintenant qu’il n’est pas nécessaire de faire mention de l’impunité;
parce que cette idée renferme l’explication même du sujet, qui consiste à montrer que de
ce 4 mots biffurequ’une chose est permise 1 mot biffure par les Loix, il s’ensuit seulement qu’elle est impunie.

Je suis, Monsieur, avec toute le reconnaissance possible de vos bontes, Vôtre
très-humble &
très-obéïssant serviteur

Barbeyrac 


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur Turretin, Pasteur & Professeur
en Theologie & en Hist. Ecclésiastique

Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 28 mai 1715, cote BGE Ms. fr. 484, ff. 178-179. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/959/, version du 10.02.2024.
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