Transcription

Chavannes, Alexandre César, Lettre à François Chavannes, Bâle, 07 mars 1764

J’ai montré ta lettre a quelques amis, Mon tres cher frere,
elle aboutira tout au moins a leur montrer apprendre, que si je ne
cherche pas a former un etablissement a Basle, ce n’est pas
par mepris ou pour leur ville, mais uniquement
parce que je ne pourois le faire qu’a perte, et en renonçant
a quelque chose de beaucoup meilleur. on a cru genera=
lement qu’entre les vues temporelles qui m’ont fait ambitioner
mon poste, la principale etoit la perspective d’obtenir la
Bourgeoisie, et d’epouser une de leurs Bourgeoises, ils com=
mancent a comprendre qu’ils se sont extremement trompés
a mon sujet; quand ils me parlent de la Bourgeoisie,
je leur reponds que je ne la demanderai jamais qu’après
avoir epousé une Bourgeoise, et quand ils me proposent
d’epouser une Bourgeoise, je leur donne a entendre
que je n’en veux pas une pauvre; Ils me parlent de
bonne famille et de protection, je leur reponds que
il n’y a point de meilleure famille que celle ou l’on est
honnetes gens et ou l’on a a manger, ni de meilleure pro=
tection que le pain qui est sur la table. on me parle
de 50 demoiselles qui n’auroient pas seulement dequoi
me donner a dejeuner, et a qui il faudroit que je don=
na bien a diner a gouter et a souper, et force caffé
et bonbons, moi je dis que si j’avois trois fois plus
de patrimoine que je n’ai, je serois charmé de faire
<1v> la fortune de ces aimables demoiselles, mais que je
ne voudrois pas les exposer non plus que moi a mener
une vie peu agreable. Enfin il n’y a rien de plus comique
que les propos qu’on me tient et les reponses que je fais.
Plus je considere les choses et plus je me decide a ne ja=
mais epouser une Baloise qu’elle ne me donne et bien
largement de quoi la nourrir, je prefererois mille fois
d’epouser une etrangère sans fortune, Jamais je n’ai
plus ri, je crois, que hier chès un Mons. et une Dame
du voisinage qui m’avoient appellé ches eux pour me
tenir sur les fonds; ils comprirent avec toute leur
finesse Baloise que j’en scavois bien autant qu’eux.
Enfin pour conclure, je veux suivre ton conseil, et tour=
ner mes vues pour vers une payse. La première que tu nom=
mes est la fille que j’ai jamais toujours la plus estimé
et que j’estime encor le plus aujourdhui; je ne lui ai jamais
declaré mes sentimens, parce que les circonstances ne me
le permettoient pas, et que j’etois incertain du succès; a
coup sur, je regarderois celle la comme une bonne
prise, mais je crois qu’il ne seroit plus temps dy pen=
ser dans ma position. La Seconde me conviendroit
aussi beaucoup, mais il faudroit la voir; et d’ailleurs
je ne scai si ce qu’elle obtiendroit pour le coup, pou=
roit suffire pour aider a ma depense, et me mettre
dans le cas de ne pas m’impatienter pour le reste; ce que
tu me dis de son caractere raisonnable modeste et
retiré me plait beaucoup, mais je voudrois avec cela
quelques manieres, parce que elle seroit exposée ici a voir
et a commercer avec un voisinage qui est la fleur
<2r> de nôtre ville. La troisieme me plait infiniment, mais
il y auroit aussi un inconvenient, elle me mettroit
dans la necessité d’entreprendre des travaux ou de me
charger d’embaras pour lesquels je ne me sentirois pas
assès de forces; Si je suis appellé a garder des pensionai=
res ou faire le Magister, je veux que ce soit uniquement
pour me procurer quelque aisance, et non pas pour
le besoin. Je m’impatiente beaucoup de faire connois=
sance avec les 4 germaines; elles j’ai fait le voiage
de Geneve avec une qui est une bien brave et digne
fille; il y a en a, autant qu’il m’en souvient, dont la
physionomie ne doit pas etre indifferente, nous avons
l’honneur de les baiser. en attendant si tu avois
occasion de voir la première S. C. dans quelque coin a l’ecart
quelques petites insinuations fines et detournées, come
on a accoutumé de faire en pareil cas pour ne pas
mettre tout a fait le pied a l’etrier avant qu’on soit
sur le point de monter la bête, 3 mots biffure ne
seroient pas sil me semble un hors de propos, seulement pour voir en
un instant ce que la ditte penseroit, et s’il y auroit
quelque jour. Si la premiere ouverture n’etoit pas
rebutée, tu pourois lui dire quel est l’etat de mes
affaires, sur quel pied je suis, et l’assurer qu'elle pour
qu’une personne de son caractere et qui avec ses manieres
pouroit voir ici la meilleure compagnie, et etre
partout très gracieusement accueillie, en 1 mot biffure cas que
ce sejour ne l’accomomodat pas, que je m’engagerois
a la rameiner au pays. Mais en voila asses pour
une fois. La suite pour l’ordinaire prochain.

<2v> Comment Mr Allamand ira til a Chardonne? C’est une
enigme pour moi; nous sommes en correspondance de
Lettres depuis peu; ne prendra til pas quelque fantaysie
a sa moitié de l’aller rejoindre. Panchaud a ce qu’il
souhaittoit, et voila mon frere encor a l’Etivaz . Je
ne scai point encor au juste ce que couteront ces pruneaux; les frais
de voiture ordinaires se comptent a 33 baz par
quintal, les pruneaux se comteront a un ducat le
quintal, a ce que je crois. 2 mots biffure J’attends
mon vin bientôt, car sil tardoit a etre expedié, il ne
vaudroit pas la peine de l’expedier avant mon depart
pour le pays. Si M. Roques, arrive sur la fin de
ce mois comme on l’espere, je partirai apres la pentecote
Dieu aidant; il sera question seulement de pourvoir
a mes fonctions pour jusques au jeune, tu me ferois
plaisir de t’interesser pour me trouver un substitut
que je payerois a contentement. Il n’y a pas du plaisir
de faire des commissions pr Chenaux. Il n’y a point de
place chès Mr Gemhuseus  pour Rossier. J’ai commu=
niqué 1 mot biffure l’avis au public a une personne qui l’expli=
quera 1 mot biffure a nos tonneliers. M. Rossier auroit
mieux fait d’en faire imprimer en allemand un bon nom=
bre d’exemplaires. J’ai concu cette machine comme
une espece de pompe ou seringue a eau. Je te prie
de faire mes salutations a tous les parens et amis,
J’embrasse de tout mon cœur ma chère meme et la
Chere sœur  a qui je souhaitte la plus heureuse delivrance.

Adieu. Mon tres cher frere.

A. C. Chavannes

Basle ce 7. Mars. 1764.

Etendue
intégrale
Citer comme
Chavannes, Alexandre César, Lettre à François Chavannes, Bâle, 07 mars 1764, cote ACV P Cuenod-Chavannes 20. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/948/, version du 04.04.2016.
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