Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 12 mai 1715

A Lausanne ce 12 Mai 1715.

Je vous renvoie, Monsieur, le Livre de feu Mr de Cambrai, que j’ai lû
il y a quelque tems avec bien du plaisir. Vous l’auriez recouvré plûtôt, n’étoit
que, dans le tems que je l’eus donné à Mr Gallatin, Mr Bergier lui aiant
témoigné souhaitter de voir ce livre, je fus obligé de le reprendre, & je crus
que vous ne seriez pas fâché que je le gardasse encore, quel pour donner le
tems à Mr Bergier d’en faire lecture.

Je profite de la même occasion, pour vous communiquer mon Discours
des derniéres Promotions. J’espére que vous voudrez bien y jetter les yeux, & m’en
dire vôtre sentiment. On voudroit que le fisse imprimer, comme le précedent:
mais je ne sai si je dois le hazarder. Dès qu’on s’est avisé de se faire imprimer,
bien des gens sont sujets à s’imaginer que les moindres choses qu’on fait méritent
la presse. Je suis bien éloigné de cette pensée, & je crois au contraire que l’on doit
d’autant plus se défier de soi-même, que l’on a eu quelque approbation publique.
Cependant comme la matiére de mon discours est intéressante (je n’en ai traité
qu’une partie, comme vous le comprendrez aisément) si des personnes, comme vous, Mon=
sieur, 1 mot biffure me témoignent sincérement qu’il pourra être de quelque usage,
malgré ses imperfections; je ne me ferai pas non plus tirer l’oreille, car
c’est-là une autre extrémité, que je crois qu’on doit éviter. Je suis bien
sûr qu’on me le demandera de Hollande, s’il n’est pas imprimé dans ce
païs. Mais je n’en veux point parler moi-même à Fabri & Barrillot, parce
qu’on leur a contrefait à Amsterdam celui qu’ils imprimérent l’année passée.
Il est vrai que c’est leur faute. Ils n’en tirérent que peu d’exemplaires. Humbert
en leur en demanda deux cents; ils ne les lui envoyérent point, apparemment
parce qu’ils ne pouvoient pas les lui fournir. Là-dessus ce Libraire le
fit imprimer de même forme que les Discours de Mr Noodt; & il m’a
depuis chargé de dire à ceux de Genéve, que ce n’avoit point été pour les
chagriner qu’il avoit contrefait mon Discours, mais pour satisfaire les
Curieux qui le lui demandoient, & à qui il n’avoit pû le fournir d’une
autre maniére; & que, pour leur faire voir que ç’avoit été la seule raison,
il étoit prêt de leur ceder les exemplaires qui pourroient lui rester. Je n’ai
pas manqué de le faire savoir à ces Mrs, qui sans doute sont fort occupez
à leur Boileau. Si je me détermine à faire imprimer mon nouveau Discours,
& qu’ils ne me le demandent pas, je ne le donnerai à aucun autre du païs,
& je l’enverrai à Amsterdam; supposé toûjours, Monsieur, que vous me le
conseillez, après l’avoir bien examiné, comme je vous en prie encore une fois.
Je souhaite que vous 2 mots biffure soiyez en bonne santé, quand vous le
recevrez. On ne m’a point parlé encore des mémoires qu’on devoit
<1v> me fournir pour le Projet dont je vous avois parlé il y a quelque tems. Je
souhaitte qu’on n’y pense plus. J’aime mieux garder mon tems pour mon
Grotius, dont j’ai commencé le Second Livre. A propos de quoi, il me
semble que vous m’aviez offert autrefois de me faire prêter le Grotius avec
les notes de Van der Meulen, Hollandois. Ce sont trois volumes in folio,
que j’ai parcouru autrefois; & comme je n’en trouvai pas les Commentaires fort
bons, je n’ai pas voulu faire la dépense de les acheter. Cependant, comme
je ne veux rien négliger, & que je lis bien d’autres Livres & Commentaires fort
ennuians pour trouver quelque petite remarque qui puisse m’être utile, ou me
donner quelques ouvertures, parmi un tas d’inutilitez ou de faux raisonnemens:
S’il y avoit quelcun à Genéve, qui n’eût pas grand besoin de ce Livre, & qui
voulût bien me le prêter volume après volume; je vous serois obligé & à lui aussi.
Comme le j’ai fait le Ier Livre, qui remplit, à ce que je crois, le prémier
Tome de Van der Meulen; je l’aurois bien tôt parcouru, & je pourrois par
conséquent le renvoyer bien tôt; ainsi, pour n’en pas faire à deux fois, on
pourrait m’envoyer en même tems le 1. & le 2. Une autre chose à quoi
Grotius me fait penser, c’est qu’il y a dix ou onze mois que j’envoyai
à Mr le Syndic Mestrezat un volume des contenant la Jurisprudentia
Divina
& quelques autres ouvrages de Thomasius. Il ne me l’avoit demandé
que pour peu de tems, & c’est un de ces Livres que je suis obligé de
consulter souvent. Je ne voudrois pourtant pas le redemander à Mr Mestrezat,
ne sachant pas s’il a eu le tems d’en faire l’usage qu’il vouloit. Si vous
trouviez quelque occasion de vous en informer, sans qu’il parût que cela vint de
moi, je laisserais volontiers à vôtre prudence de le faire comme vous jugerez à
propos. Si je trouvois ce livre à emprunter ici, qu je n’aurois garde de penser à
decouvrer le mien: mais vous savez que c’est le plus misérable païs du
monde pour les livres.

Je crois que vous aurez reçû les exempl. du petit Pudendorf & des
Discours de Noodt &c que je vous adressai pour Mr de Cambiagne, en
vous renvoyant le Mémoire de Mr l’Abbé Le Grand. Je suis, Monsieur,
avec les sentimens les plus respectueux & les plus sincéres, Vôtre très-=
humble & très-=
obéïssant serviteur

Barbeyrac

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Lausanne, 12 mai 1715, cote BGE Ms. fr. 484, f. 174. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/886/, version du 10.02.2024.
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