Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 01 août 1741

A Groningue ce 1 Août 1741.

Enfin, Mon cher Monsieur, nous avons vû ici Mr Le Maître, par qui je vous
écris. Je voudrois fort que vous eussiez été avec lui. Mais il y a long tems que j’ai
desespére de vous voir ici, vû l’inutilité de toutes les sollicitations que je vous ai faites depuis
24 ans que je suis ici.

Il me tarde de voir le Supplément de l’Abbé Bellenger, dont apparemment il faudra
dire quelque chose dans la Bibl. Raisonnée. Vous pourrez donner cette brochure à Mr
Smith, 1 mot biffure pour être mise dans le prémier envoi. Je lui demande, en lui écrivant aujourdhui
un mot, le nouveau Tome de l’Hist. de l’Acad. des Sciences avec ceux des Tables de tou générales
de tous les précedens &c.

Les Ed Lettres insérées dans la B. Rais. au sujet  de l’Eloge de Saurin par Mr de
Fontenelle, m’ont fait souvenir, que j’ai en main une preuve de la véritable & honteuse
raison, qui obligea Saurin à quitter la Suisse, son établissement, & sa Famille. C’est
une Lettre de feu Mr Baux, que vous avez connu, & qui étoit alors à Genéve, propo=
sant, à ce que je crois. La Lettre est écrite à feu Mr Duclerc, Medecin, son compatriote, qui étoit à
Lausanne, où il est mort depuis que je suis ici. Ce Mr Duclerc étoit intime Ami de
Saurin, & m’aiant parlé de cette Lettre, dans le tems que j’étois revenu à Lausanne
comme Professeur, je l’engageai à m’en remettre l’original. Il paroît par la Lettre,
que c’étoit la Réponse à celle qu’il 2 mots biffure avoit écrite, par où il 1 mot biffure communi=
quoit à Mr Baux que Saurin témoignoit, & il lui demandoit conseil sur ce qu’il falloit
faire pour le ramener, & en même tems pour l'assister dans sa nécessité. "Pour nôtre
malheureux Ami (le dit Mr Baux) que voulez-vous que je vous en dise? Il
seroit à souhaitter qu’il eût moins d’esprit & plus de conscience. J’en reviens à
ce que j’ai toûjours dit, que cet homme s’étoit fait un Systême d’Epicuréïsme
qui ne lui laissoit rien à craindre que le Magistrat, de sorte qu’il n’est pas sur=
prenant que s’étant fortifié pendant long tems, autant par effort d’esprit que
par inclination de coeur, contre toute crainte de Dieu, il n’en soit pas à présent
aussi susceptible qu’il le voudroit. Il ne faut pas pourtant l’abandonner à ce
déplorable état, & je ne sai si l’on ne pourroit pas lui conseiller, de détourner
son esprit autant qu’il lui seroit possible & de son désordre & de son remors. Trop
d’attention à nos pechez n’est pas d’abord un acheminement infaillible à
la repentance. L’ame toute pleine du mal qu’on a fait, est plus appliquée
à nôtre malheur, qu’à nôtre devoir; & un peu de diversion, faisant qu’on
sent moins l’un, peut nous tourner plus aisément à la pratique de l’autre.
Mais peut-être, mon Ami, que nous cherchons un reméde à un mal qui n’est
point. Pouvons-nous bien compter sur tout ce que Saurin dit? Ne le faisons
du moins que pour n’être par rebutez de le secourir, & en conservant d’un côté
assez de charité pour travailler à sa subsistance, conservons de l’autre assez de
discernement & de défiance pour nous tenir en garde contre son imagination &c."
Cette Lettre est dattée 3 du 3 Novembre 1689. Au reste, outre les preuves
incontestables des vols de Saurin, qui se trouvent dans les Régîtres Publics de ce
tems-là, il y a encore des gens qui se souviennent de la notoriété publique dont
étoient les faits, & je suis un de ceux-là. J’étois alors à Lausanne, & dans ma
seiziéme année; par conséquent dans un âge à pouvoir faire attention à une chose
comme celle-là, & à en conserver la mémoire. J’étois depuis revenu à Lausanne,
<1v> lors que Saurin, après la mort de sa Femme, revi son Beau-Pére, revint à Genéve
avec sa Femme, & fut même à Lausanne incognito, mais s’en retourna bien tôt à
Genéve, & y attendit sa Femme, dans la crainte d’être découvert. Si la cause de sa
désertion n’eût été criminelle, & s’il n’y eût eû là-dessus des informations faites par
la Justice, auroit-il pû craindre que le Magistrat de Berne eût osé faire arrêter un
homme, pour avoir seulement apostasié, & un homme établi à Paris, pensionné du
Roi, Membre de l’Acad. des Sciences?

Outre les deux Extraits, que vous avez reconnus être de moi dans la dern. Part.
de la B. R. il y en a un troisiéme, c’est celui du 1. Tome de l’Institution d’un Prince
par Mr Duguet. Il en est resté un quatriéme, & j’en ai envoié cinq pour la
partie qui s’imprime; mais apparemment il en restera encore quelcun. Parmi
ceux-ci, il y en a un d’un petit Ouvrage que vous devez avoir recû de la part
de Mr Polier, c'est qui me l’a envoié de la part de l’Auteur, c’est Eclaircissemens &
Reflexions sur les Prophéties & Avertiss. de N. S. J. Ch.
par Mr Barnaud, Mi=
nistre, que j’ai connu autrefois, & qui a demeuré chez Mr Polier, comme Précepteur de
son Fils, & puis à Genéve, chez Mr Turrettin, dans la même qualité. Celui qui vous
aura remis ou envoié cette Piéce, est un Neveu de Mr Polier, nommé De Bons,
Impositionnaire, qui est venu de chez lui dans ces Provinces, pour y être Informateur
ou Gouverneur du fils unique de Mr le Baron Torck, qui a épousé la fille de
Madame de Duyvenvorden. Mr Polier paroît aimer & estimer beaucoup ce Jeune
Homme. Il dit, qu’il vous a envoié par lui le Livre en question, en vuë 3 caractères biffure d’en
procurer un Extrait dans la B. Rais. & que dans la même vuë il en 1 mot biffure a
envoié un exemplaire aux à La Haie aux Auteurs de la Nouv. Bibl. qui s’im=
prime chez Paupie. Il me parle du Commentaire de feu Mr Turrettin sur l’Epître
aux Romains, qui s’imprimoit à Genéve, dont la Copie, dit-il, avoit été fournie
par Mr Vernet, quoi que le Fils du Défunt assûrât, & qu’il eût même fait
mettre dans les Gazettes, que le Manuscrit Original n’étoit pas sorti de sa
Bibliothéque. Mr Vernet m’a écrit depuis, que l’Ouvrage paroissoit, & cela imprimé sur
une Copie plus complette que l’Original, qui même avoit été retouchée & corrigée autre
fois sous les yeux de l’Auteur. L’Original, en divers endroits, supposoit quelque supplément, qui
devoit se faire de vive voix; à cause de quoi le Fils de Mr Turrettin n’osoit pas se
résoudre à pub laisser publier l’Ouvrage.

En même tems que je reçus par occasion, la Lettre de Mr Polier, j’en reçus une longue
de Mr De Croza, commencée d’écrire l’année passée, dans un tems où il croioit trouver une
occasion pour l'envoier; & achevée le 11 d’Avril. Il a sous presse à Bâle chez Christ,
son Ouvrage, en forme de Lettres, sur la nature de l’Esprit Humain &c où il réfute
le Systême de Leibnits & Wolfius: & de plus, un Volume de Sermons: à 3 caractères biffure Stras=
bourg, son Arithmétique démontrée, & son Discours sur l’utilité des Mathématiques, nouv. Edit.
augmentée: à Lausanne, une nouvelle Edit. de sa Logique. Il dit, qu’il a été puissamment
encouragé à refuter les Leibnitziens par les Cardinaux Passionei, & De Fleury.
"Pour le dernier (ajoûte-t’il) on ne peut rien de plus tendre & de plus zelé, que les Lettres
que je reçois de lui en particulier; & je suis assûré que l’autre présentera au Pape
d’aujourdhui tous mes Ouvrages, sans omettre le Volume des Sermons, qui s’imprime
à Bâle."

<2r> Ce que vous me dites des démêlez entre Mr Mauclerc, & le Libraire de la Bibl. German.
ne fût pas & de l’obstination du prémier à exiger de nouvelles conditions, me fait
penser, qu’il voit peut-être jour à fai trouver quelque Libraire de Berlin, qui continuë
l’impression de ce Journal. Pour ce que vous me demandez de sa part mon sentiment sur
le Systême de Droit Nat. de Mr Stube, comme je n’ai jamais vû l’Ouvrage, tout
ce que je puis vous dire, c’est qu’à en juger par l’Extrait qu’on en a donné, il
m’a paru, que l’Auteur veut dire quelque chose de nouveau, mais que ses idées sont
confuses & peu justes. Il en est d’ailleurs de cet Ouvrage, comme de bien d’autres qui
se publient en Allemagne sur le même sujet, & que depuis long tems je me suis lassé de
lire, c’est que ce ne sont que des compilations, où, à la faveur de quelques nouveaux
langage & quelque nouvel arrangement des matiéres, on croit donner une nouvel Ouvrage,
qui n’est proprement qu’une repétition de ce qui a été cent fois dit, & que l’on
gâte quelquefois, au lieu de le rectifier.

J’ai vû les Articles du dernier Synode. La Résolution des Etats rejette absolument
la Requête, appuiée par le Synode. Mais le Conseil d’Etat l’approuve, pour ce qui le
régarde, ou les Eglises dans lesquelles il a inspection sur la nomination des Pasteurs. Le
Synode y persiste toûjours à recommander à ses Commissaires de presser, l'a auprès des
Etats, l’approbation de sa Sentence contre Mr de la Chapelle: mais, par ce qu’on y
dit, il paroît assez, qu’on n’y trouve pas beaucoup de disposition. Et j’admire
comment on peut s’obstiner si fort à une poursuite, dont l’inutilité ne fait que
montrer de plus en plus l’ardeur à maintenir cette autorité dont on est si jaloux, &
cependant le peu de cas que le Souverain en fait.

Le Prince & la Princesse d’Orange ne seront point à Leuwaarden pendant la tenuë
du prochain Synode; ainsi ces Mrs peuvent se dispenser de préparer leur compliment.
Leurs Altesses ne sont jamais à Leuwaarden dans cette saison; & moins encore y seront
elles cette année, où elles sont en Allemagne. Vous avez vû par les Gazettes, que la
Princesse a été à Hannover. On a dit, que le Prince y iroit ensuite: mais j’en doute fort.
Il y a long tems, que son Beau-Pére a quelque chose contre lui, à cause de quelques
discours indiscrets qu’avoit tenu en Angleterre un certain Duncan, que le prince y
avoit envoié, & qu’il fut obligé par cette raison de congédier de son service. C’est pour
cela, que, dans tous les voiages que le Roi a faits depuis à Hannover, il n’a pas même
vû en passant la Princesse, moins encore son Epoux. On m’a dit, que cette année le
Prince Guillaume de Hesse-Cassel avoit ménagé, auprès du Roi, la permission de venir
à Hanover, pour le Prince & la Princesse: mais il paroît par l’événement, que ce n’étoit
que pour la Princesse, & que le Prince a pris prétexte d’aller pour ce tems-là faire une
course à Luxembourg, selon ce que disent les Gazettes.

Ce que vous me dites des deux exemplaires de la nouvelle Edition des Carac=
téres de la Bruyére, me fait souvenir d’un autre présent que j’attens depuis long tems
de Paris, & dont vous aurez peut-être entendu parler à Mr Smith, que j’avois
chargé de le retirer. Il y a un an, que Mr D’Orville m’écrivit, que le Baron
de la Bastie avoit remis au Banquier de lui (Mr D’Orv.) trois exemplaires de
la Description, en Cartes, de la Ville de Paris, gravée aux dépends de l’ancien prêvôt
des Marchands, Mr Turgot; & que de ces exemplaires, l’un étoit pour moi, l’autre
pour Mr Burman, & le troisiéme pour Mr D’Orville, Celui-ci m'écri qui disoit
que peut-être il le recevroit bien tôt. Le 3 Janvier de cette année, il m’écrivit
un mot, en m’envoiant la 1. Partie des Observationes Miscell. qui se continuent sous
son nom, mais que je ne reçus qu’environ deux ou trois mois après. Je priai alors
Mr Smith, que, quand il auroit occasion de m'envoier Là il me disoit, que le
<2v> Vaisseau, sur lequel étoit le paquet des exemplaires, se trouvoit encore arrêté à Rouen.
Il y a quelque tems que Mr Smith lui fit dire de 1 mot biffure qu’il avoit occasion de m’en=
voier un paquet, & demander en même tems s’il avoit reçû les Cartes, qu’il pourroit
me faire tenir par cette occasion. Il répondit, qu’elles n’étoient point encore arrivées,
& qu’il ne manqueroit pas de me les envoier, quand il les auroit reçuës. Cependant
je suis encore à attendre. Je l’avois prié expressément, quand il les auroit reçuës, de les
faire remettre chez Mrs Wetstein & Smith.

Il y a environ quinze jours, qu’un Batelier m’apporta franco un petit paquet,
où je trouvai un petit Livre, intitulé, Essai sur l’usage, dont l’Epître Dédicatoire adressée à
Mr Maty, Min. du S. Evangile, & P Docteur en Philosophie, me fit voir que l’Ouvrage
est d’un de ses Fils. Il y avoit une Lettre anonyme, avec trois étoiles, au lieu où
devoit être le nom de celui qui écrit, & à côté: de XX le * Juin 1741. Celui qui l’écrit,
prend le personnage d’une tierce personne, qui dit, que bien des gens aiant lû ce petit
Livre, souhaitteroient fort d’être conduits par quelque guide auquel ils pussent se fier dans le jugement
qu’elles ils en doivent porter, 1 mot biffure: qu’on l’a chargé de m’en envoier un exemplaire, parce
qu’on assûroit que je travaillois à la Bibl. Rais. & que la plûpart des Extraits de
Morale, de Droit Naturel, de Droit Civil &c. venoient de moi: que cependant ce n’étoit
pas une chose publique dans l’endroit d’où l’on écrivoit, ni que l’on eût dessein de publier,
vû qu’on ignoroit si le fait étoit vrai, ou si je serois bien aise qu’il fût public:
que cependant on souhaitteroit fort de pouvoir savoir 2 mots biffure mon sentiment
sur les principes de ce coup d’essai d’un Jeune Auteur, fort disposé à profiter des
remarques qu’on feroit sur son Ouvrage, & qui, venant de moi, ne manqueroient pas
d’être proposées avec clarté & sans aigreur &c. Je ne sai si la Lettre ne seroit
pas du Pére même, qui peut-être a craint que Mr de la Chapelle ne parlât de ce
Livre, & n’en dît du mal, par haine pour le nom de l’Auteur. Je ne l’ai point encore
lû, mais en y jettant les yeux par ci–par là, je me suis vû cité plusieurs fois.

Est-ce que je ne pourrai jamais avoir le VI. & le dernier Tome du Sigonius, que
Waesberge me fait attendre depuis si long tems. Il y a un an, que vous lui en
avez encore parlé. Je vous prie, quand vous aurez occasion de le voir, de réïterer
fortement. Je vous ai déja dit, que j’attens cela pour lui paier ce que je lui devrai
de reste du compte que nous avons ensemble.

Mr Le Maître vous dira, que, pendant son séjour ici, ma fille a eû une
rude attaque de colique. Elle, & son Mari, vous embrassent. Nous vous souhaittons
tous une bonne santé, & moi principalement, qui suis toûjours, Mon cher Monsieur,

Tout à vous,

Barbeyrac

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 01 août 1741, cote BPF Ms 295/90. Selon la transcription établie par Meri Päivärinne pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/829/, version du 05.08.2016.
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