Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 25 avril 1739

A Groningue ce 25 Avril 1739.

Je reçus en son tems, Mon cher Monsieur, vôtre Lettre du 2 de ce mois, qui accompagnoit
la caisse des exemplaires de mon Livre, destinez au Prince & à la Princesse. Le lendemain, comme
mon Gendre étoit encore ici, je l’envoiai à la Cour, demander à Leurs Altesses quand il leur plairoit que
je les leur présentasse. Aussi tôt l’une & l’autre lui firent dire que je n’avois qu’à venir l’après midi à
cinq heures & demie. Quand mon Gendre fut de retour au logis, il se trouva que la colique m’avoit
pris, mal dont j’ai eu, depuis quelques années, des attaques, pas fréquentes à la vérité. La derniére que
j’eus, fut au commencement de Septembre de l’année passée. Ainsi je me trouvai fort embarrassé, car,
1 mot biffure loin que les douleurs diminuassent avant l’heure marquée, elles augmentoient plûtôt. Cependant
je fis un effort, & avec toute mon incommodité, je me rendis à la Cour, affublé de mon manteau
en chemin. Je ne pus voir ce jour-là que le Prince. Il me dit d’abord, de la part de la Princesse,
qu’elle me prioit de venir le lendemain à deux heures; aïant eû apparemment quelque autre chose
à faire. Comme le Prince s’apperçut bien tôt que je n’étois pas dans mon assiette ordinaire, je lui
en dis la raison; & qu’à cause de cela, je ne savois pas si je pourrois revenir le lendemain. Cepen=
dant, comme j’avois fait apporter les deux exemplaires, il se chargea de faire parvenir à la
Princesse celui qui étoit pour elle. Le lendemain, comme la colique continuoit, & m’avoit empêché
de dormir toute la nuit, je pris du sel d’Epson; c’est presque l’unique reméde dont j’ai toûjours usé
en ces cas-là. Et après avoir encore passé sans dormir la nuit suivante, je me sentis sur le matin
soulagé, de sorte que les douleurs passèrent, & qu’il ne me resta qu’un abattement, comme vous pouvez
juger, pour quelques jours. J’avois envoié faire mes excuses à la Princesse, le jour que je ne pus aller
à l’assignation; & alors elle me fit dire, qu’elle étoit bien fâchée de mon incommodité, & qu’elle me
verroit, quand je me porterois bien. Je lui fis savoir, quand je fus en état de sortir, que j’attendrois ses
ordres. Mecredi passé, elle m’envoia dire, de venir à deux heures. Je n’y manquai pas, & je fus avec
elle seule dans son Cabinet jusqu’à trois, c’est-à-dire, jusqu’à ce qu’on vînt l’avertir que son diner
étoit prêt. Dans l’entretien que j’eus avec le Prince, pendant une demie-heure, & qui auroit été plus
long, si je ne lui avois témoigné que j’étois mal à mon aise, quoi qu’assis auprès d’un bon feu; j’eus
néanmoins occasion de l’instruire sur ce qui regardoit le Livre de Mr de Beausobre; car il m’en
parla le prémier. La Princesse & lui savoient déja, que j’étois chargé de cette commission. Le Gentil=
homme de la Princesse m’étant venu voir, deux ou trois jours après que la Cour fut arrivée, vit sur ma
Table les deux Volumes, & me demanda si c’étoit quelque nouveauté. J’eus par là occasion de l’instruire
du tout, & lui montrai la Lettre que j’avois aussi à remettre à la Princesse. Il me dit, qu’il le lui ap=
prendroit, & j’attendois de 1 mot biffure la voir pour lui remettre cette Lettre. Depuis, pour ne pas perdre
du tems, je la lui envoiai, avec le Livre, le jour que je n’avois pû aller la voir. Quand je l’ai
vue ensuite, comme il s’étoit passé assez de tems, sans qu’elle m’en parlât, je commençai à lui en
parler moi-même, & lui dis tout ce que je crus devoir, comme j’avois fait au Prince, sur le mérite
de Mr de Beausobre; sur l’honneur qu’il avoit eû d’être prémiérement Chapelain de la Princesse,
Mére du Prince d’Anhalt, à laquelle sa Mére, Princesse d’Orange, avoit recommandé Mr de B. qui
depuis avoit été Chapelain du feu Roi & de la feue Reine de Prusse &c. Je parlai du second
Mariage de Mr de B. des deux Fils qu’il avoit laissez; & sur tout je représentai l’honneur qu’il
avoit eû d’être connu de la feue Reine d'Angleterre, dans le tems qu’elle étoit sollicitée à changer de
Religion &c. à cause de quoi il avoit cru, que la Princesse, héritiére de ses Vertus, voudroit bien
agréer le présent que la Veuve lui envoioit, pour s’aquitter de l’ordre que le Défunt lui en avoit
donné &c. J’avois déja parlé au Gentilhomme de la Princesse d’une maniére, qu’il comprit de lui-=
même le but que Mr de B. s’étoit proposé plus particuliérement, en chargeant sa Femme de faire ce
présent. Voilà tout ce que je puis vous dire. Je serai fort aise, que la Princesse donne quelque
<1v> marque de sa générosité envers Made de B. & me ferai un grand plaisir, que cela passe par mon canal.
On dit, que Leurs Altesses doivent aller à la fin de ce mois à Lewarde, mais pour revenir ici, où elles lais=
seront la plus grande partie de leurs gens; c’est pour l’exercice des Troupes, qui doit se faire alors.

Vous pourrez prendre de l’argent, que Made Boyer a reçû pour moi, de quoi paier le compte de
Uytwerf: mais je voudrois que le dernier Tome du Dictionn. de la Martiniére y fût compris, pour ne
plus faire de compte de chez lui. Et apparemment ce Tome ne tardera pas à paroître. Au reste, je ne
me souviens point où finissoit le dernier compte. Ce fut Mr Le Maître, qui le paia, sur le compte
de Mr La Carriére, qui n’a point reçû le Compte de Uytwerf quittancé. Ainsi ce compte doit être
chez Mr Le Maître.

L’exemplaire de l’Hist. du Christianisme des Indes, que vous m’avez envoié, avec l’autre Livre plus
nouveau de Mr La Croze, est imparfait. Il y manque toute une feuille, c’est la feuille E. J’ai
trouvé dans ce même paquet le Tome XLV. de la Bibl. Germanique: mais vous ne m’avez jamais
fait envoier le précedent, XLIV. Je m’en appercus d’abord, en jettant les yeux sur la Table des Arti=
cles, où je vis Continuation de l’Extrait de la Chron. de Mr des Vignoles, dont je n’avois point
vû le prémier. Et puis sur la Table, un renvoi au Mémoire de sur la Vie de Mr de Beausobre; que je
n’ai lû que dans le II. Tome de l’Hist. du Manichéisme.

Je remercie d’avance Mr Coste, de l’exemplaire qu’il me destine de la nouvelle Edition de
son Montagne. Je vous prierai de lui envoier, (& aussi à Mr des Maizeaux) un des exemplaires de
mon Histoire, que Mr Smith a encore à moi, & dont il ne souhaitte pas que je dispose encore.

Je n’ai rien à part de l’Abbé de St Réal, mais seulement l’Edition de ses Oeuvres
en 5 voll de La Haie 1722. Bien loin de croire, que les Libraires puissent trouver quelque
chose qui ne soit pas dans les Editions précédentes, je vois qu’il en faudroit retrancher, par ce
que dit le P. Niceron, Tom. X part. II. pag. 108 & suiv. où il marque bon nombre de
Piéces, qui sont d’un autre Auteur, & paroît en donner de bonnes preuves.

Je suis fort assûré, qu’on ne pensera point à moi, pour la vacance d’Utrecht. Mais si cela arri=
voit contre mon attente, vous pouvez compter que je refuserois, & non seulement là, mais partout
ailleurs. Il n’est plus tems à mon âge, de se transplanter; & toute sortes de raisons me conseillent
de finir ici mes jours. Il court ici un bruit, que le dernier de mes Collégues, Mr Eck,
Allemand, qui est venu de Duysbourg, sera appellé à la place de Mr Otto. Mr Drakenborch
& lui, ont épousé deux soeurs. Ainsi il y a au moins apparence, que Mr Drak. fera ce
qu’il pourra pour attirer ce Beau-frére auprès de lui.

J’ai reçû le Phrynichus de Mr Paw. Je serois bien fâché de perdre mon tems à confronter
ce qu’il dit pour se défendre contre Mr Paw d’Orville, dans une longue Préface, où il n’épargne pas
les injures, non plus que son Aggresseur. C’est un combat de Gladiateurs à toute outrance.

Vous avez bien raison d’inferer des faux jugemens qu’on fait sur les Auteurs de la Bibl.
Raisonnée
, combien les Lecteurs se trompent, quand ils veulent deviner. Il me semble pourtant, que
mes Extraits ne sont pas des plus difficiles à reconnoître. Au reste, je suis très-obligé à Mr
Mauclerc, des complimens que vous me faites de sa part. Je vous prie de lui témoigner combien
je j’y suis sensible, & que je 1 mot biffure me tiens fort glorieux du jugement qu’il fait de mes
Notes sur Pufendorf & Grotius, quoi que je ne me flatte pas de mériter tous les éloges qu’il
me donne là-dessus.

Je suis en peine sur le compte de Mr Sidobre. Je lui écrivis sur la fin de l’année passée, après
avoir reçû le Livre de Mr Astruc; & je le priois de me répondre, sur la liste que je lui avois
envoiée de ce qui lui manque de mes Ecrits. Je lui ai écrit encore le 28. du mois passé, pour un
autre sujet, sur lequel je lui demandois encore la plus promte réponse qu’il se pourroit; car il
s’agissoit de le consulter sur des attaques qu’a euës un fils de mon beau-frére Chauvin,
& qui, selon la rélation qu’on m’en a envoiée, me paroissent des attaques d’épilepsie. Cependant
<2r> je n’ai encore aucune réponse. Je crains que Mr Sidobre ne soit ou mort, ou malade.
Je prie Mr Smith de s’en informer à Paris dans l’occasion.

Je devois être hier à un grand Festin de Docteur en Droit, où le Prince fut invité. Mais, pour le bien de
ma santé, je m’en excusai; quoi que celui, qui donnoit le repas, fût Fils d’un Conseiller de
Groningue, & qu’il aît été mon Disciple. Outre le mauvais tems qu’il faisoit, la présence
même du Prince fut une nouvelle raison de m’absenter; parce qu’à cause de cela je
n’aurois osé me retirer de bonne heure. Quelque soin qu’on aît de se ménager, il n’est
pas possible de ne faire quelque excès dans ces sortes d’occasions, où l’on est tant d’heures
à table, & où il faut boire tant de santez. Car le Pére étant Conseiller, aura apparemment
prié presque toute la Magistrature; sans compter tant d’autres personnes. Le Prince avoit
assisté le matin à la Dispute, en conséquence de laquelle le Candidat fut reçû Docteur, &
donna à cause de cela le Repas, quoi qu’il n’y fût pas obligé.

Ma fille est heureusement relevée de couche, & elle se porte bien, de même
que son enfant, qu’elle nourrit, mais avec l’aide d’une autre Nourrice. Son
Mari est à Embden, d’où, après les exercices faits, que le mauvais tems retarde, il
pourra revenir, parce qu’alors il change de Garnison, & va a Lieroort, pour
cette année. Je suis toûjours, Mon cher Monsieur

Tout à vous

Barbeyrac

Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Charles Pacius de la Motte, Groningue, 25 avril 1739, cote BPF Ms 295/81. Selon la transcription établie par Meri Päivärinne pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/819/, version du 25.07.2016.
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