Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Louis Bourguet, Lausanne, 09 avril 1717

A Lausanne ce 9 Avril 1717.

Monsieur,

Je vous 1-2 mots dommage cireoit obligé de la part que vous prenez à la vocation qui m’a été
adressée 2-3 mots dommage cire Curateurs de l’Université de Groningue. L’avantage, que je trouve dans
cet 2 mots dommage cire que la Providence m’envoie, est bien diminué par le déplaisir que j’ai de
perdre 2 mots dommage cire bons Amis, que j’ai dans ces quartiers; & vous voulez bien que je vous
mette au nombre de ceux que je regretterai dans mon éloignement. Mais il faut suivre
son sort; sur tout quand on a une famille, & qu’on est Refugié. Je me suis toûjours contenté
de la condition, où je me suis trouvé, quoi que chétive; & s’il avoit fallu m’intriguer le moins
du monde, jamais je n’aurois eu aucun poste avantageux. Aussi ne m’y étois-je jamais
attendu; & j’ai été bien surpris, quand j’ai reçû mes lettres de vocation d’un endroit où je
n’ai aucun connaissance. On m’offre quinze cents florins de Hollande, & une Maison, franche
de louage, avec un Jardin: vous savez qu’outre cela le casuel peut, avec le tems, être considérable
dans une Université comme celle de Groningue. J’ai accepté: mais cependant j’ai demandé des
éclaircissemens sur certaines choses, que je suis bien aise de savoir, & j’attens de nouvelles lettres
de ce païs-là, pour penser à mon départ, qui 1 mot biffure ne sauroit guéres se faire qu’au mois de
Juin. Je me déterminerai aussi alors sur la route que je dois prendre; car je crois que je
pourrois bien obtenir un passeport, pour passer par Paris, s’il me convient de passer de ce
côté-là, & que rien n’empêche d’ailleurs. Ainsi je n’ai point encore 1 mot biffure demandé congé à LL. EE.
de Berne, & je ne saurois vous dire, si l’on conservera ma profession, ou si on la laissera
éteindre. Il ne manque pas de gens qui sont portez pour le dernier: mais il y en aura
aussi, qui travailleront à maintenir mon établissement, qui peut être utile avec le tems, s’il
ne l’a pas beaucoup été jusqu’ici. L’Académie du moins fera tout son possible, pour ne
<1v> pas le laisser tomber. On aimeroit mieux prendre en attendant les prémiers Sujets, qui se
présenteroient; & on a déja jetté les yeux sur le fils de Mr Mussard, Professeur en droit
à Genéve. Comme il se destine à succeder à son Père, on croit qu’il seroit bien aise
d’exercer ici par entrepos une Profession, d’un côté plus étenduë, & de l’autre moins; car
de la maniére que les choses vont ici, il n’y a pas d’apparence que ceux qui me succederont
soient jamais obligez d’enseigner le Droit Romain. J’avois commencé a expliquer les
Institutes: mais au bout de quelque tems, je fus obligé de discontinuer cette leçon publique,
que je faisais une fois la semaine, parce que je n’avois absolument aucun Auditeur. Il
suffira donc ici du Droit Naturel, appliqué aux Loix du païs. 1 mot biffure Comme vous aimez cette
partie du Droit, & que l’Histoire a fait l’objet de vôtre application, je serois fort aise que
vous voulussiez tout de bon vous mettre sur les rangs, comme vous témoignez en avoir
quelque désir: & en ce cas-là, si je pouvois contribuer quelque chose à vôtre satisfaction,
je m’en ferois un véritable plaisir.

Au reste, il y a une chose assez singuliére dans ma vocation; c’est qu’on appelle en même
tems à Groningue un autre Professeur François, & dans la même Faculté de Droit (car vous
jugez bien que je n’aurai plus à me mêler d’Histoire) Cet autre Professeur, c’est Mr Toullieu,
qui étoit professeur à Lingen depuis 18. ans. Il y a outre cela à Groningue, un Professeur
en Langue Grecque, nomé Mr Rossal, qui est du Languedoc. De sorte que nous serons
trois François Refugiez dans une Université Hollandoise. On rappelloit en même tems
Mr Bernoulli: mais j’ai ouï dire, qu’il n’accepteroit point.

On me mande de Hollande, que Mr Leibnitz n’a laissé que seize mille Ecus, qu’on
a trouvé en divers petits paquets derriére ses Livres. Un pauvre Curé Luthérien, qui se trouve
son plus proche parent, héritera de cette somme. Il n’y a aucune nouvelle literaire considérable;
si ce n’est la publication d’un nouveau Journal, que vous avez peut-être vû, sous le
titre de Bibliothéque Angloise. L’Auteur en est Mr de la Roche, François naturalisé en Angle=
tere; & 1 mot biffure le titre fait voir d’abord que ce nouveau Journaliste se borne aux Livres qui
paroissent en Angleterre. Il a bien debutté, ce me semble. Je ne sai ce que c’est qu’un
Livre de l’Abbé Genest sur la Philosophie de Descartes. Il est en vers, & on l’imprime à
Amsterdam, aussi bien que l’Odyssée de Made Dacier. Le N. Testament de Mrs
Lenfant & Beausobre n’est pas aussi avancé, qu’on le croioit: on imprime l’Epître aux
Romains. La nouvelle Edition de mon petit Pufendorf n’est pas encore sous presse: les
Imprimeurs Libraires pressent beaucoup les Auteurs, & après cela ils prennent leur tems. Vous avez
peut-être vû un Livre qu’on vient d’imprimer à Genève, sous le faux titre d’Anvers;
Breviarium Historico – Chronologico Criticum, gestorum Pontificum, Concil. generalium &c.
<2r> par un Neveu du Pére Pagy, en deux voll. in 4°. Il contient douze siécles; &
l’Auteur doit donner le reste dans un troisiéme volume. C’est un bon ouvrage en son
genre.

Vous ne devez pas vous presser, Monsieur, pour le volume XI. de l’Hist. Critique.
J’en ai reçû le XII: qui est presque tout plein d’emportement & d’invectives contre
Mr le Clerc, & autres personnes de mérite, qui ontle malheur de déplairre aux Mrs
Masson. Ces Mrs se décrieront par là, & par bien d’autres endroits. Je suis
avec toute l’estime possible

Monsieur

Vôtre très-humble &
très-obéïssant Serviteur

Barbeyrac

Ma femme vous est bien obligée de vôtre souvenir,
& vous fait ses complimens. J’ai fait les vôtres à Mrs
Duclerc, & je les ferai à Mrs De Crouza & Polier,
quand je les verrai ; car j’ai reçû vôtre lettre seulement
ce matin.

Rep. le 14. Avril 1717. 


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Bourguet
A Neufchatel


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Louis Bourguet, Lausanne, 09 avril 1717, cote BPUN Fonds Louis Bourguet Ms 1266, n° 4. Selon la transcription établie par Meri Päivärinne pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/748/, version du 11.07.2016.
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