Transcription

Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Berlin, 02 mars 1708

A Berlin ce 2 Mars 1708

Monsieur,

Il y a quelques jours, que nous avons reçû vos Lettres, & après avoir vû ce que
vous répondez à Mr Chauvin au sujet de la proposition que vous aiez eu la bonté
de me faire, j’ai bien tôt vû que cette affaire n’auroit point de suite. Ainsi, Mon=
sieur je vous prie de n’en plus parler. J’ai ici beaucoup moins de peine, & tout
bien compté, à peu près autant d’avantages; outre plusieurs commoditez & autres
raisons qui doivent me faire préférer le séjour de Berlin où je suis accoûtumé
depuis long tems, à tout autre où je ne trouverai pas des avantages considérables. J’ai
vécu jusques ici, Dieu merci, content de mon sort, sans ambition & sans envie,
également éloigné & de l’abondance & de la dizette. J’attendrai fort tranquillement
que la Providence m’offre quelque occasion plus favorable, & je ne quitterai jamais
le certain, tout médiocre qu’il est, pour des espérances incertaines. Cependant,
Monsieur, je ne laisse pas de vous être infiniment obligé de vôtre bonne volonté
& de vôtre empressement généreux à me rendre service. Je tâcherai de vous en
témoigner ma reconnoissance dans toutes les occasions, & d’entretenir la connoissance
que j’ai faite avec vous, quoi que d’un peu loin. C’est dans cette vuë que
je vous apprendrai non seulement que mon I. volume de Tillotson est sous la
presse, comme je vous disois dans ma lettre précédente que j’y travaillois, mais
encore que je travaille actuellement à un Ouvrage de ma façon, qui est déja assez
avancé. C’est un Traité du Jeu, où l’on examine les principales Questions de
Morale qui ont du rapport à cette matiére
. Sans donner dans une Morale
outrée, je tâche de poursuivre la Passion du Jeu dans tous ses retranchemens; & pour
égaier la matiére, je traite par occasion bien des choses qu’on n’attendroit pas-là.
Il y a, par exemple, un Chapitre entier où je réfute en peu de mots les fausses idées
de Morale, que Mr Bayle a fait semblant d’adopter. Ce qui m’a fait naître
la pensée de travailler sur le Jeu, c’est l’abus que je vois qu’on en fait ici; &
je sais qu’il en est de même à Genéve & ailleurs; ce n’est plus divertissement,
c’est fureur. J’y travaille secrétement, & on n’en saura rien ici que quand
l’Ouvrage paraîtra; je n’en ai même rien dit à Mr Chauvin. J’espére
de pouvoir l envoier ce Traité aux Imprimeurs sur la fin de l’Eté prochain; 
& je ne manquerai pas alors, Monsieur, de prendre la liberté de vous en
envoier un exemplaire, espérant que vous le prendrez en bonne part, & que
vous ne me refuserez pas vos bons avis. Je profite pour vous écrire d’une
occasion, qui ne me permet pas de retourner au logis, & de joindre ici une
lettre de Mr Chauvin, qui sera bien fâché de ne vous avoir pas écrit par
la même voie. Je suis, Monsieur, avec un profond respect

Vôtre très-humble &
très-obèïssant serviteur

Barbeyrac 


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Turrettin, Pasteur & Pro-
fesseur en Théologie & en Hist. Ecclésiastique
A Genéve


Etendue
intégrale
Citer comme
Barbeyrac, Jean, Lettre à Jean Alphonse Turrettini, Berlin, 02 mars 1708, cote BGE Ms. fr. 484, f. 100. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/744/, version du 29.10.2023.
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