Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXXX. Sur l'immortalité de l'âme », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 06 février 1745, vol. 2, p. 428-438

LXXX Assemblée

Du 6e Fevrier 1745 Présens Messieurs Polier
Professeur, Baron De Caussade, DeCheseaux Conseiller, D’Ap=
ples Professeur, DeSt Germain Conseiller, DeCheseaux fils.

Discours de Monsieur le Comte./p. 429/ Messieurs, Je ne vous repeterai pas les reflexi=
ons & les maximes que nous lumes en dernier lieu dans l’ex=
cellente Lettre que Ciceron écrivoit à son Frére; je l’ai relu
cette Lettre, et je me propose de la relire encor bien des fois.

Monsieur DeCheseaux, aux régles que Ciceron proposea Mr DeCheseaux le fils
pour se bien conduire avec les différentes personnes avec qui
on a à faire vous avez ajouté ces deux-ci. 1° C’est de ne
point se confier trop à un seul homme, d’en écouter plu=
sieurs, de consulter des personnes de génies, d’âges et d’occu=
pations différentes, et de tacher de découvrir les raisons de
la variété de leurs sentimens. 2° De se remplir d’un
grand zéle pour le bien public: Cela instruira parfaite=
ment un Prince sur le caractère & sur les talens de
ceux qui le servent.

Vous m’avez fait remarquer, Monsieur D’Apples,a Mr le Professeur D'Apples.
que pour retenir les Publicains dans le devoir et empécher
que les Peuples ne s’irritent contre eux, il faut s’opposer
à ce qu’ils n’exigent rien au delà de ce qui leur est du, et
qu’ils ne l’exigent pas avec dureté.

Vous m’avez dit, Monsieur le Boursier, qu’il ne fauta Mr le Boursier Seigneux.
pas porter le motif de la gloire aussi loin que le fait Ci=
ceron; qu’il ne faut pas aussi l’éteindre, mais seulement le
régler, c’est à dire, ne chercher sa gloire qu’en ceci, c’est de
prendre soin qu’aucune de nos actions ne fasse un contras=
te avec nos principes, les régles de nos devoirs, et le rang
ou nous nous trouvons.

Il seroit bien à souhaitter, m’avez vous dit Monsieura Mr le Baron De Caussade.
De Caussade, qu’entre fréres, parens ou amis, on travaillât
à se donner des conseils avec autant de Sincérité que Ci=
ceron le faisoit, que ce seroit la marque la plus réelle
d’amitié qu’on pût se donner: et que pour y engager
les autres, il faudroit toujours recevoir leurs conseils avec
docilité.

Monsieur Polier, vous m’avez montré qu’on ne vientà Mr le Professeur Polier.
à bout de vaincre ses passions que par degré & peu à
peu, qu’ainsi il faut être continuellement en garde con=
tre les prémiers mouvemens qui s’élévent dans notre ame,
et en particulier contre la colère, pour en arrêter les sui=
tes & les progrès.

Monsieur le Juge m’a dit que les Chrétiens ne devoienta Mr le Juge Seigneux.
/p. 430/ pas se conduire uniquement par le motif de la gloire, mais
principalement par l’idée de ce qui est juste, et qu’en joignant
ces deux motifs ensemble c’étoit le moien de faire un
bon Chrétien.

Discours de Mr le Conseiller DeCheseaux, sur l'immortalité de l'ame, prouvée par les lumiéres naturelles.Monsieur le Comte et Messieurs.

Tout ce que nous connoissons dans la nature ne périt que
par l’une de ces causes; ou par l’action de quelque Agent qui
la détruit; ou par le dépérissement ou la privation de ce
qui Soutient sa vie; ou enfin par la seule volonté du
Créateur.

Je vais examiner par quelle de ces causes notre ame
peut périr, en considérant dabord sa nature; en 2d lieu
si sa vie dépend de quelque cause; enfin si la volonté du
Créateur est qu’elle périsse.

J’entends par le terme de nature ce qui dans un être
le distingue de tout autre, & d’où résulte nécessairement
toutes ses propriétés et ses effets.

Nous ne pouvons, je crois, connoitre la nature d’aucun
être, que par ses propriétés et ses effets, comme nous jugeons
des ressorts & de la constitution d’une machine par les mou=
vemens qu’elle cause; il n’y a que celui qui les a formé qui
connoisse parfaitement leur constitution, et qui puisse juger
de leur durée, comme l’ouvrier connoit la machine qu’il a
fait. Ne connoissant donc la nature de notre ame que de
cette maniére, nous ne pouvons porter aucun jugement sur
sa durée qu’en conséquence des propriétés ou Facultés qui
nous sont connues.

Ses Facultés sont celle de sentir, celle de former des idées,
de se fixer sur celle qui lui plait, ou de passer à d’autres,
et celle d’agir sur les organes du corps & les faire mouvoir.

A considérer notre Ame par ses Facultés nous n’avons
pas lieu de juger qu’elle soit étendue; parce que nous ne
voions point de liaison, ni de rapport entre l’étendue et
la pensée, et que d’ailleurs il est des êtres qui n’ont point
d’étendue, qui pensent et qui agissent sur la matiére.

Mais comme le corps auquel elle est unie agit aussi
sur elle, nous aurions quelque lieu de croire qu’elle seroit
étendue pour rendre possible & donner lieu à cette action. Je
laisserai cette question indécise, et je raisonneroi sur l’une
ou l’autre de ces deux suppositions.

/p. 431/ En supposant que notre ame soit étendue, nous n’en
pouvons cependant pas conclurre, (à ce que je pense,)
qu’elle soit, par sa nature, périssable. La matiére elle même
ne l’est point: elle peut à la vérité changer de forme; ses
parties peuvent se désunir; aquerir ou perdre du mouve=
ment: mais la matiére & son étendue subsistent toujours:
les causes étrangéres qui produisent ce changement; ne dé=
truisent point son étendue; et nous ne pouvons concevoir
aucuns agents qui puissent faire qu’elle ne soit plus. Cela
étant, la partie étendue ou matérielle de l’ame ne peut être
anéantie que par la seule volonté du Créateur. Si cela est
vrai de sa partie étendue, je crois qu’il l’est à plus forte raison
de sa partie pensante; puisqu’elle est sans contredit la plus
excellente, elle doit avoir au moins la même prérogative.
Ainsi les sensations peuvent augmenter ou diminuer en de=
gré ou en nombre, ses pensées succeder plus ou moins vite;
sans que le fond, sans que la Faculté pensante soit altérée.

L’expérience nous apprend encor, que dans la nature
chaque chose persiste dans son prémier état, s’il ne sur=
vient quelque cause étrangére qui le change; nous pouvons
conclurre de là que notre Ame ne doit non plus souffrir
aucun changement dans son état, à moins qu’il ne sur=
vienne quelque Agent ou cause extérieure qui l’altére.
Or nous n’en connoissons aucune comme je viens de le dire,
que le corps auquel elle est unie, d’ou pourroit dépendre sa vie
et son existence.

La vie de notre Ame peut être attachée à l’organisa=
tion de notre corps, ou par la nature de l’un ou de l’autre, de
maniére que l’organisation du corps venant à être détruite;
l’ame pérït nécessairement; ou par la simple volonté arbitrai=
re du Créateur. Quant à la prémiére supposition, il paroit
qu’elle ne peut avoir lieu, parce que si la pensée n’est pas
un effet nécessaire, ou dépendant de la matiére, puisqu’il y
a des êtres immatériels qui pensent, elle ne peut l’être non
plus de l’organisation, qui n’est que la matiére elle même
dans un certain état. Personne ne conçoit sans doute, com=
ment de la disposition des parties, du plus ou moins de mou=
vement, de sa direction, ou de la combinaison de ces choses,
pourroit naitre un sentiment de plaisir ou de douleur, une
idée. Et ç’a été l’impossibilité de le concevoir qui a donné
/p. 432/ lieu à tant de recherches, et de Systhèmes sur l’union de
l’Ame et du Corps. S’il est donc vrai que notre ame considé=
rée comme étendue, ou comme non étendue, considérée com=
me unie à un corps, ne peut être détruite par aucun Agent
que nous connoissions, il me reste à considérer si le Createur
aura fait dépendre son existence et sa vie de l’organisation
du Corps, par une simple volonté, ou ce qui revient au mê=
me, s’il a créé notre Ame pour une durée bornée ou une
durée sans fin.

Quoique je ne prétende pas avoir, jusqu’ici, prouvé
sans conteste, que l’Ame soit immortelle, par la considé=
ration de sa nature & de ses Facultés, il me suffit d’avoir
établi avec assez de vraisemblance, que bien loin de pouvoir
inférer de ces considérations qu’elle soit mortelle, nous avons
lieu de présumer le contraire; Cela étant les preuves que je
vais vous donner de son immortalité, tirées des desseins que
Dieu peut avoir eu, en seront plus recevables, et on ne pou=
ra leur objecter que leur propre foiblesse.

Les conjectures sur les desseins de Dieu peuvent être
prises de l’excellence de l’Homme, des Facultés qu’il a reçu
et de son état dans cette vie.

L’on conviendra sans doute que plus une machine est
excellente, bien construite, propre à exécuter plusieurs mouve=
mens, et plus elle devroit être faite pour durer longtems. Que
si ses mouvemens sont lents, ses révolutions périodiques
longues de 20 ans, de 30 ans, par exemple, sa durée devroit
être aussi plus longue; Enfin que si par la maniére dont elle
est faite, ou par la matiére dont elle est composée, elle est su=
jette à s’user ou se détruire au tiers, à la moitié du tems
qu’elle doit emploier à exécuter ses mouvemens, elle ne peut
passer que pour très imparfaite.

Appliquons ces réflexions à l’Homme. Considerons d’a=
bord l’Homme dans une vue générale, on conviendra qu’il
est plus excellent que les Animaux. L’Animal n’a que la
Faculté de sentir et quelques instincts assez bornés.

L’Homme joint à cette Faculté celle de la Réflexion; il
réfléchit, par exemple, sur ce qu’il sent, sur ce qu’il est;
sur le passé, sur l’avenir. Cependant sa plus longue vie est
de 80 ans, ou 100 ans, tandis que celle de quelques animaux
est prolongée jusqu’à 200, 300 ans. La Providence a donné
/p. 433/ aux Hommes des Facultés qui sont inutiles à la plupart d’en=
tr’eux, vu le grand nombre qui meurt dans un âge peu
avancé, et le genre de vie de quelques autres, qui ne leur
permet pas d’en faire usage; elle lui a donné la Faculté
de connoitre; elle l’a environné d’objets propres a exciter sa
curiosité; mais les uns étant hors de sa portée, elle ne peut
être satisfaite dans cette vie. Et quant aux autres, combien de
tems, combien de veilles, pour parvenir à les connoitre, même
assez imparfaitement! Et quand il a aquis quelques con=
noissances, quand il est en état d’en faire usage, il meurt,
et ses travaux, & ses connoissances sont perdues pour jamais
avec son existence. Ars longa, vita brevis.

Deplus la Providence a créé l’homme avec le desir et
les dispositions à vivre en Société, à gouter les douceurs de
l’amitié, douceurs les plus grandes de la vie; et quand il a
formé des liaisons, quand il commence à en jouïr, le voilà
tout d’un coup enlevé à ses Parents, à ses Amis, auxquels il
ne reste que des regrets, pour tout fruit de leur union avec
lui. Enfin l’homme qui semble fait pour une longue vie,
puisque son enfance est si longue; que son corps & son es=
prit sont si longtems à se perfectionner; ses progrès dans
la connoissance si lents; cette machine (s’il m’est permis
de lui donner ce nom) si composée, si propre à exécuter tant
de mouvemens, l’homme périt dans l’enfance, à la fleur de
son âge, longtems avant que d’avoir atteint sa perfection.
Qui reconnoitra la Sagesse, et l’habileté de son Auteur, dans
une durée si courte et sitôt terminée?

Considérons à présent l’homme du côté de son sort dans
cette vie. Comparons le dabord avec celui des Animaux. Le
plus grand nombre d’entr’eux est sans contredit plus heureux
que lui. Plusieurs ont, en peu d’années, aquis toute leur force
et leur grandeur, sont moins sujets aux maladies, jouïssent
d’une force, d’une agilité bien supérieures à la sienne, sont
exemts de regrets sur le passé, de soins du présent, et de crain=
tes sur l’avenir: leurs plaisirs ne sont troublés par aucune
réflexion: aucune passion, nul souci d’amasser, nulles inquié=
tudes sur leurs petits ne les agitent, du moins pour long=
tems. Cherchez sur la Terre l’homme le plus maitre de ses
passions, il s’en faudra beaucoup qu’à tout prendre sa vie
soit aussi heureuse. Et peut-on se figurer que le Créateur
/p. 434/ des uns et des autres ait fait un tel plan, et n’ait rien
reservé à l’homme de meilleur.

Comparons encor le sort de quelques hommes, avec
celui de quelques autres. Quelle différence! Un homme
s’est formé l’idée de Dieu, comme d’un être bien faisant, qui
aime l’ordre et la justice, il est persuadé que Dieu veut que
l’homme travaille à lui ressembler; dans cette persuasion il
recherche tout ce qui peut lui plaire, il renonce à ses
plaisirs pour donner son tems à l’utilité et aux affaires
des autres, il se prive de l’agréable, du commode pour fournir
à leurs besoins, il mène une vie dure, laborieuse, il essuie
plusieurs désagrémens, plusieurs dégouts à l’occasion des soins
qu’il se donne pour autrui. Un autre, quelques idées qu’il
ait de Dieu ne se met nullement en peine de lui être agré=
able, ne refuse rien à ses plaisirs, accumule richesses sur ri=
chesses, pour satisfaire sa vanité, son luxe, sans s’informer
s’il y a un malheureux, ou un indigent dans le monde. Bien
plus le prémier sera peut être par sa douceur, par sa modé=
ration exposé à l’oppression, à l’injustice, à la violence, se
verra privé de ses biens, de ses honneurs, réduit à la misère,
à la honte, tandis que celui qui l’opprimera, insultera à son
malheur, jouïra tranquillement des biens et d’autres avanta=
ges qu’il lui a enlevé, il vivra dans l’abondance, les plaisirs,
les honneurs & mourra enfin tranquillement dans son lit.
Plus le prémier aura été humain, sensible aux miséres d’au=
trui, et plus il aura été malheureux par le sentiment de ses
propres maux & de ceux d’autrui, plus le dernier aura vécu
uniquement pour lui même, aura éteint tout sentiment
d’humanité, sera devenu insensible à l’amitié, aux mouve=
mens que la nature et la compassion inspirent, et plus il
aura été heureux; parce qu’il se sera livré à ses desirs sans
réflexion & sans remords; cependant le sort de l’un & l’autre
sera terminé à cette vie, il n’y aura point de dédommagement
pour le prémier, qui n’aura eu pour tout appanage de sa ver=
tu que la misére?

Si notre Ame est mortelle l’homme n’aura donc été créé
que pour néant; toutes ses Facultés lui auront été données
en vain; sa vie sera plus courte et plus malheureuse que
celle de plusieurs animaux; le sort des gens de bien qui au=
ront le plus approché d’être l’image du Créateur sera plus
/p. 435/ malheureux, que le sort de ceux qui ressemblent le plus à
la bête brute, et qui sont les moins dignes de vivre; enfin
toute la vie du plus grand nombre sera une suite de soins
et de miséres; et Rousseau aura eu besoin de dire, Que ce
n’étoit pas la peine de naitre
.

J’ajouterai encor un mot sur le desir et l’espérance de
l’immortalité, quoiqu’ils ne puissent être regardés, comme
nous aiant été donnés immédiatement par le Créateur, ce
qui dans ce cas feroit une preuve très forte, et qu’il soit
très naturel à tout Etre qui jouït de la vie d’en desirer la
continuation, cependant je crois qu’on en peut tirer quelque
inférence, en faveur de notre immortalité.

Non seulement le desir et cette espérance sont des sen=
timens vagues en nous, mais plusieurs considérations sur no=
tre Situation dans cette vie doivent merveilleusement les forti=
fier, particuliérement cette derniére. Telles sont celles que j’ai
touché ci-devant sur la comparaison de notre sort avec ce=
lui des animaux; de celui des gens de bien et des scélérats;
sur notre curiosité excitée par de grands objets hors de no=
tre portée par la foiblesse de nos organes ou de nos facultés,
qui ne nous permet pas de la satisfaire dans cette vie, sur
nos liaisons, nos sociétés, aussitôt détruites que formées; sur
l’idée d’un Dieu infiniment bon, grand, souverainement ai=
mable; toutes ces considérations ne forment-elles pas en nous
des espérances très légitimes d’une vie plus heureuse, ou no=
tre curiosité sera pleinement satisfaite, ou nous formerons
de plus durables Sociétés, et ou nous pourrons enfin connoitre
et aimer l’Auteur de notre être.

Celui qui nous a créé n’a-t-il pas prévu, en nous pla=
çant dans cette vie, que toutes ces espérances naitroient néces=
sairement de notre état, ne peut-on pas dire en quelque fa=
çon qu’il nous les a données? Plus j’y fais réflexion et moins
je puis me persuader qu’il permette qu’elles soient vaines et
trompeuses. Il faut donc convenir qu’un plan aussi défectu=
eux ne seroit point conforme à celui des autres ouvrages du
Créateur, dont toutes les parties répondent parfaitement à l’u=
sage auquel elles sont destinées, et sont assorties à un plan
régulier et général, dans lequel brillent l’ordre et la bonté
de son Auteur.

J’ai passé sous silence les remords de la conscience, la
/p. 436/ crainte des peines à venir, que je regarde comme des effets de
l’éducation; si ces sentimens étoient donnés aux hommes par
la Providence, ils devroient tous avoir les mêmes idées du crime,
sans quoi ces remords seroient inutiles. Or nous voions des
Nations qui ont regardé et regardent la plupart des crimes
comme des vertus, et s’en applaudissent, bien loin de s’en re=
pentir: Temoins les Lacédémoniens et quelques Peuples de
l’Amérique. #

La matiére est une des plus difficiles de la Metaphysique,Sentiment de Mr le Professeur D'Apples.
a dit Monsieur le Professeur D’Apples. Il semble même qu’elle pas=
se les bornes de la capacité de l’homme, et qu’on devroit s’en tenir
à ce que la Révélation nous en dit; cependant il est satisfaisant de
voir jusqu’où la Raison peut nous conduire là dessus.

Les preuves tirées de la nature de l’Ame sont sujettes à de
grandes difficultés, parceque cette nature ne nous est pas connue.
On ne connoit l’Ame que par ses opérations, mais elles ne nous
dévélopent point cette nature, si elle est spirituelle ou non; d’où
vient que Platon distinguoit dans l’Ame la partie supérieure et
la partie inférieure. L’Ame pense, c’est une de ses opérations, mais
je ne saurois me persuader que la matiére ne pense pas. Les
preuves donc a priori sont sujettes à de grandes difficultés; il
n’en est pas de même des dernieres qui ont été developées avec
beaucoup de force. Je dirai seulement que l’idée de l’homme,
comparée avec l’idée d’autres hommes, avec celle des bêtes, en fai=
sant attention à ses desirs, que tout cela, dis-je, doit être joint
avec les idées de la Sagesse, de la bonté & de la justice de Dieu
que toutes ces idées jointes ensemble forment une preuve satis=
faisante et complette.

Tous les argumens, qui sont à faire voir l’excellence deSentiment de Mr le Conseiller De St Germain.
l’Ame par dessus le Corps, sont infiniment utiles, au genre hu=
main, sur tout dans l’état ou il se trouve: la plupart des hommes
ne travaillent qu’à soutenir la moindre partie d’eux mêmes, et
négligent entiérement ce qui regarde leur ame, ils n’en font au=
cun cas, ils ne la connoissent pas, ils n’ont point d’idée de son ex=
cellence, rien n’est donc plus à propos que de les instruire là des=
sus; c’est ce qu’a dit Monsieur le Conseiller DeSt Germain.

Sentiment de Mr le Baron DeCaussade.J’ai toujours été frappé, a dit Monsieur le Baron DeCaus=
sade, d’une chose qui est à la portée de tout le monde. Un en=
fant qui vient au monde n’a pas plus d’ame qu’un animal: son
ame donc croit avec le corps. Quand il vient vieux, ses fonctions
/p. 437/ ne se font plus, il semble donc qu’elle s’éteint avec le corps.
Il s’agit à présent de savoir si Dieu a voulu qu’elle fût im=
mortelle ou non. La Raison ne nous découvre rien de clair
& de solide; témoin le doute des Philosophes, de Ciceron en par=
ticulier. Il faut donc reconnoitre combien nous sommes obli=
gés a Jesus Christ qui a mis dans une parfaite evidence la
vie et l’immortalité.

# J’ai été obligé de m’étendre un peu sur ces derniers
articles, cette espéce de preuve ne peut être serrée, elle ne
tire sa force que du détail de circonstances accumulées. Fin

Monsieur le Professeur Polier a dit, qu’il faut prendreSentiment de Mr le Professeur Polier
sur cette matiére ce qu’il y a de plus probable, sur tout quand
la probabilité l’emporte de beaucoup. Il faudroit donc proposer
a celui qui voudroit agiter cette question, s’il ne croit pas plus
probable qu’il y ait une vie après celle-ci, ou que tout sera
confondu.

Cela m’engage à réfléchir sur la nature des preuves qui
établissent cette vérité, et je trouve qu’elles se reduisent toutes
à une, savoir, qu’il y a un Dieu en qui nous avons la vie
le mouvement et l’être. Il faut donc les envisager toutes d’une
maniére rélative à l’idée de Dieu. Toute personne qui cher=
chera à s’instruire là dessus se convaincra parfaitement soit
par l’examen de la nature de l’Ame, ou en considérant son
union avec le corps. Pour moi, a-t-il ajouté, je la crois fer=
mement et voici pourquoi.

Toutes les Facultés de mon Ame sont indivisibles, sentimens,
pensées, idées, volonté, imagination, c’est toujours l’Ame, en qui
ces Facultés se trouvent, & de laquelle elles sont inséparables,
il n’en est pas de même du corps dont on peut séparer une
partie d’une autre. Je vais plus loin; en examinant si le corps
peut être détruit, je trouve que les prémiers principes du
corps sont inaltérables. Si Dieu a donné cette qualité à un
Etre inférieur à l’Ame, pourquoi l’auroit-il refusé à l’Ame
même?

Sur l’union de l’Ame avec le corps, j’examine, si quand
les organes sont détruits l’Ame l’est aussi; le corps subsiste après
sa dissolution, et il reste des principes qui serviront à le retablir.
Il arrive beaucoup de changemens à l’homme depuis sa naissance
cependant il sent toujours qu’il est le même. De là je conclus
que les changemens qu’il éprouve n’affectent point son Ame.
/p. 438/ Il y a plus, quand le corps est le plus foible, l’Ame a plus de
force qu’autrefois. Il est vrai que souvent quand le corps est foible,
l’Ame l’est aussi. Mais un seul exemple du prémier cas bien prou=
vé établit que l’Ame est indépendante du corps.

On tire une objection contre cette vérité de l’Ame des bêtes. 

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intégrale
Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXXX. Sur l'immortalité de l'âme », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 06 février 1745, vol. 2, p. 428-438, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/552/, version du 24.06.2013.
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