Transcription

Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXXIV. Lecture d'un extrait de la "Bibliothèque britannique" sur le Veau d'or », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 19 décembre 1744, vol. 2, p. 395-399

LXXIV Assemblée

Du 19e Xbre 1744. L’Assemblée a été composée
de Messieurs DeBochat Lieutenant Baillival, Bourguemais=
tre Seigneux, Polier Professeur, Baron DeCaussade, DuLignon,
Seigneux Conseiller, Seigneux Juge, D’Apples Professeur, De
St Germain Conseiller, Seigneux Lieutenant fils de Mr le Juge.

/p. 396/ Messieurs. Samedi dernier vous prouvâtes queDiscours de Monsieur le Comte.
le commerce des femmes a une grande influence sur l’esprit &
le cœur d’un jeune homme, parce que nous sommes portés natu=
rellement à imiter les personnes que nous fréquentons, & aussi
parceque la Nature a donné aux deux Sexes un desir reci=
proque de gagner l’affection l’un de l’autre, desir qui porte un
jeune homme à faire tous ses efforts pour entrer dans les
gouts des Femmes qu’il fréquente.

Le commerce des Femmes sera donc utile ou desavan=
tageux à un jeune Homme, suivant que les Femmes qu’il
verra auront un bon ou un mauvais caractère. Pour préve=
nir ces inconvéniens, il ne faut fréquenter que des Femmes
d’un mérite reconnu, & à qui on ne puisse refuser son estime.

Les avantages qu’on retire du Commerce des Femmes
sont ceux-ci, on aquiert de la politesse, de l’aisance dans ses
manières; on adoucit son humeur; on devient complaisant;
on prend plus de part aux maux d’autrui: Enfin on aquiert
une délicatesse de sentimens, et une facilité à s’énoncer,
qu’on ne trouve point dans ceux qui ont vécu dans la so=
litude ou qui n’ont fréquenté que des Hommes.

Sujet de la Conference Le Veau d’or, Extrait de la Biblioth. Britannique.Après ce Discours on a lu un morceau de la Bibliothe=
que Britannique, c’est l’Extrait d’un Livre Anglais qui a pour
titre The Golden Calf &c. Le Veau d’or, ou Recherches Physico-=
Critico-Patheologico-Morales sur la nature et l’efficace de l’Or:
qui montrent le merveilleux pouvoir de ce Métal, et les prodi=
gieux changemens qu’il opère sur l’esprit des Hommes: avec la
rélation des merveilles du Miroir Psychoptique inventé depuis
peu par Joachin Philander Auteur de ce Livre
, London 1744.
in 8°. Cet Extrait dans la Bibliot. Britannique Tome XXIII.
1e Partie page 83-104.

Je ne ferai pas l’Extrait de cet Extrait, je me contenterai de
dire que cet ouvrage est une agréable et fine Satyre; Que l’au=
teur recherche les causes du changement que les Richesses ap=
portent dans l’Esprit et le caractère de ceux qui les possédent
pourquoi un homme qui étoit un ignorant tandis qu’il étoit pau=
vre, qui étoit bon ami, d’un bon caractère, pourquoi, dis-je,
sitôt qu’il est venu riche, se croit savant, et est envisagé pour
tel, qu’il méprise ceux avec qui il étoit lié, qu’il manque de re=
connoissance; et il attribue la cause de ces changemens à l’effet
de l’or; il n’explique pas comment l’or opère cet effet, mais il sou=
tient /p. 397/ que cet effet est réel, & que quoiqu’il ne puisse pas rendre rai=
son de cet effet, il n’en est pas moins certain; qu’il y a bien des
choses qu’on ne sauroit expliquer et qu’on ne revoque cependant
pas en doute.

Enfin il parle d’un miroir psychoptique qu’il a inventé et
qui sert a decouvrir toutes les qualités de l’ame bonnes et mau=
vaises, avec lequel il assure qu’il a fait plusieurs Cures, dont il
raporte les certificats avec les noms de ceux qui ont été guéris;
Tout cela est mélé de réflexions autant agreables que solides.

Quoiqu’on sache, a dit Monsieur le Conseiller Seigneux,Sentiment de Mr le Conseiller Seigneux.
que les Richesses ne changent point celui qui les possède, on est dis=
posé à penser avantageusement de ceux qui en sont pourvus.
Ce Livre nous fait prendre garde à ce préjugé qui est generale=
ment répandu. Un autre préjugé, c’est de flatter & de louer
les Grands & les Riches: il faudroit estimer le mérite seul,
avec cette précaution de louer les Grands encor plus que les
autres, lorsqu’ils sont vertueux. Ce Livre est tres délicatement
écrit. Au reste cette lecture m’a fait faire des reflexions sur
les paroles d’Aggur, Ne me donne ni pauvreté, ni richesse.
Les Richesses sont accompagnées de tant de défauts, & de si
peu de vertus qu’on ne doit pas les envier.

Voici les réflexions de Monsieur le Conseiller De St Germain.Sentiment de Mr le Conseiller De St Germain.
Si l’Auteur qui a si ingénieusement écrit ou tout autre qui
auroit les mêmes vues comptoit de parvenir à son but, il se=
roit loin de son compte; parceque les Riches ne réfléchis=
sent point & ne lisent point: ils se livrent au plaisir & c’est
tout. Que se propose donc l’Auteur? De consoler ceux qui n’ont
pas des biens. Non; ses réflexions ne produiront pas cet effet,
parcequ’on se persuade que si on avoit plus de bien que ce
qu’on en a, on ne tomberoit pas dans les défauts des Riches.
Quoi donc; quel but s’est proposé l’Auteur? il n’en a eu d’au=
tre que de diminuer le respect qu’on a communément pour
les Grands & les Riches.

Je ne crois pas, a dit Monsieur le Lieutenant BaillivalSentiment de Mr le Lieutenant Baillival DeBochat.
DeBochat, qu’on ait tant de respect pour les Riches ni ici, ni
ailleurs, je ne crois pas non plus que les Riches s’estiment plus
à cause de leurs Richesses. Cependant il est bon de réfléchir sou=
vent sur ces travers, crainte qu’on ne s’y laisse aller. Mais l’ex=
cellent usage de ce Livre c’est la réflexion par ou l’Auteur finit
c’est de conseiller aux jeunes gens riches qui sont muets en compagnie,
/p. 398/ ou dont la conversation n’est remplie que de juremens, de blasphemes
d’impiétés, de saletés, ou sont au moins de pures bagatelles, quand
il leur conseille pour aprendre à parler, de se former l’esprit, de
reflechir sur les diverses révolutions qui sont arrivées dans le monde,
sur la suite des Roiaumes & des Etats, sur la vicissitude que la for=
tune d’un côté & la sagesse d’un autre occasionne dans les événemens.
Cela leur ouvrira l’entendement alors ils seront charmés de se ren=
dre attentifs au bel arrangement qui regne dans les œuvres de la
Nature, & de reconnoitre celui qui en est l’Auteur, de respecter
ses Loix, et de lui marquer leur reconnoissance. Si les jeunes
Gens s’appliquoient à de si nobles sujets, ils parviendroient à
avoir l’usage de la Parole: sans cela ils ne parleront point, ou ils
parleront comme des Perroquets.

S’il falloit avoir des millions, c’est Monsieur le ProfesseurSentiment de Mr le Professeur D’Apples.
D’Apples qui parle, pour s’énorgueillir par les richesses, les réfle=
xions sont fort inutiles; mais les Richesses sont rélatives et chacun
peut abuser des avantages de son état. L’ouvrage qu’on vient
de lire marque les défauts des Richesses et les moiens de les cor=
riger. Quoique les Richesses ne changent pas tout d’un coup le
caractère, voici cependant un défaut qu’elles produisent peu à
peu, 1° l’air & le ton decisif, 2° l’orgueil & le mépris de ses sem=
blables, 3° le manque d’humilité & de reconnoissance. Un moien
bien propre pour se corriger, c’est 1° la connoissance de soi même, de
ses défauts & de ceux de ses semblables. 2° de considérer ce que
sont les Richesses; ce sont des moïens d’aquerir des connoissances,
de faire du bien, et rien de plus; elles sont d’ailleurs incertaines,
et elles s’échapent quand on croit les posséder le plus surement.
3° Un 3e moïen de se corriger, c’est de considérer de sens froid,
les abus & les excès dans lesquels elles peuvent entrainer, certai=
nement cette considération, sur tout si elle revient souvent,
nous fera prendre des précautions pour éviter ces excès ou pour
les corriger si on a eu le malheur d’y tomber.

Je trouve l’Auteur très ingénieux. La prémiére partie deSentiment de Mr le Juge Seigneux.
son Ouvrage dépeint deux défauts des richesses; elles rendent
sots ceux qui les possédent, et ceux qui regardent & qui admi=
rent les Riches encor plus sots. Je suis à couvert du prémier dé=
faut, mais non pas du second. Je vis un jour dans une auber=
ge un homme mis simplement, et mal équippé, j’avoue que
je le méprisai; je vis quelque tems après ce même homme ga=
lonné, & je lui fis beaucoup de soumissions. L’invention du
/p. 399/ miroir me plait fort. Je voudrois que l’Auteur eut encor donné
un remède pour ceux qui admirent les Riches.

Je me persuade, a ajouté Monsieur le BourguemaistreSentiment de Mr le Bourguemaistre Seigneux.
Seigneux, que le miroir dont parle l’Auteur peut guerir le
second défaut dont a parlé Monsieur le Juge. Cet ouvrage
a été écrit pour les païs ou il y a des fortunes subites et écla=
tantes: Je crois cependant qu’il peut servir pour les païs ou
à proportion il y a des fortunes au dessus du commun. Il ne
guerira pas tout à fait les défauts qu’il en a vue; mais il ren=
dra les riches attentifs contre les égards qu’on leur rend, pour
voir si on rend ces égards à leurs personnes ou à leurs biens.
Ce n’est pas une fiction que les changemens que cause une
fortune subite. Nous en avons vu arriver grand nombre du
tems du Mississipi; des gens élevés dans la boue aiant aquis
des richesses immenses, se croioient au dessus de tous les hom=
mes & méprisoient ceux qu’ils n’auroient pas osé regarder en
face peu de tems auparavant; ils parloient avec autant d’assu=
rance des choses qui se présentoient, comme si les biens qu’ils
avoient aquis leur eussent donné des lumieres & de l’esprit.

Monsieur DuLignon n’a rien ajouté.Mr DuLignon

Je cois, a dit Monsieur le Baron DeCaussade, qu’il estSentiment de Mr le Baron DeCaussade.
utile de tourner en ridicule les défauts des Riches dans une
grande Ville: quoique les Riches lisent peu, ils lisent quel=
quefois, & un Livre comme celui ci leur fera plus de bien
qu’un Livre de Morale. On peut dire beaucoup de bien &
beaucoup de mal des Richesses. Quand on en use bien, comme
faisoit Mylord Gallowai, elles donnent une sorte de mérite
à ceux qui les possédent. D’un autre côté elles jettent dans
beaucoup de vices. J’estime fort la priére d’Agur, et la médi=
ocrité sur laquelle chacun doit se regler.

Sentiment de Mr le Professeur Polier.Monsieur le Professeur Polier a dit que le miroir psy=
choptique peut servir pour les richesses et aussi pour tout le
reste de la vie; chacun doit en faire usage dans toutes les cir=
constances, & sur tout à présent ou nous sommes appellés à
nous examiner: il est difficile de se connoitre, il est vrai, mais
c’est qu’on n’est pas accoutumé à s’examiner & à s’étudier. Si
on s’examinoit chaque jour soir et matin, chaque semaine,
chaque mois, chaque année, avec beaucoup d’exactitude, cha=
cun trouveroit dequoi se perfectionner.

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Citer comme
Société du comte de la Lippe, « Assemblée LXXIV. Lecture d'un extrait de la "Bibliothèque britannique" sur le Veau d'or », in Extrait des conférences de la Société de Monsieur le comte de la Lippe, Lausanne, 19 décembre 1744, vol. 2, p. 395-399, cote BCUL 2S 1386/2. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/526/, version du 24.06.2013.
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