Transcription

Stapfer, Philipp Albert, Lettre au Père Girard, Berne, 07 juillet 1799

[Berne ce] 7 Juillet [17]99

[Le ministre des Arts et des Sciences
de la République helvétique Une et Indivisible,]
[A]u citoyen Girard, Cordelier à Fribourg.

Il n'est pas douteux, mon cher ami, que Vous ne
me compromettiez beaucoup, en refusant la place honorable
qui Vous est offerte par l'arrêté inclus , et de plus
d'une manière . D'abord je Vous dirai que je me suis
opposé à ce que le Directoire nommat un certain
Graf  vicaire à Escholtzmatt qu'il avoit envie
d'avoir auprès de lui et qui n'est qu'un Patriote d'au=
berge sans lumières, sans dignité et sans connoissance
suffisante de la langue française . C'est un homme
bon pour prêcher aux paysans la constitution en
buvant avec eux un coup, mais nullement fait pour
donner à la Religion dont il seroit le ministre dans
une ville où il se trouve un public éclairé, le
relief dont elle a si grand besoin. J'ai donc fortement
insisté sur l'abandon de ce projet et ai parlé de
Vos talens, Vos vertus et le bien que Vous pourriez
faire comme Curé Catholique à Berne. Vous concevez
bien, mon cher, qu'on trouverait fort mauvais que j'eusse
affirmé (il est de ça passé un mois) que Graf ne valoit
rien et que Vous étiez l'Ecclésiastique unique à moi
connu qui put dignement remplir ce poste, et que
maintenant après un mois révolu je vinsse leur dire que
<1v> celui dont je ne voulais point me desister, pour lequel
je faisons mettre de côté un autre qui s'offroit, qui
se plaignoit d'être persécuté par les prêtres, et auquel
on vouloit pour recompense de ses services rendus dans
l'Entlibuch (Vous savez qu'il a amené à Lucerne l'élite de cette
peuplade mal disposée dans un moment fort critique)
donner une place où il seroit à l'abrit du fanatisme et
de la malveillance, aujourdhui n'en veut rien et qu'étant
mon archiviste, censé être dans mon bureau, ce n'est
que si tard que je viens annoncer son refus et demander
un autre choix. Ensuite le corps législatif désire beaucoup
avoir un Pasteur régulier et qui jouisse de sa confiance.
Si vous refusez, je ne sais où donc trouver un successeur
et un tems considérable va s'écouler encore, on va
crier etc.

Mais enfin il ne s'agit pas des désagrémens qui peuvent
en resulter pour ma personne. Dans le fonds, j'y suis
extrêmement indifférent, et mon desir dominant est de
sortir de cette galère! Il est une autre considération
à laquelle je tiens beaucoup et dont l'intérêt ne me
sera jamais étranger, c'est le bien de la Réligion.
J'avoue que l'espoir de servir celle de Jesus Christ a été
l'unique motif qui m'a fait accepter une place
où je prévoyois une foule de désagrémens, l'anéantisse=
ment de mon bonheur domestique, l'interruption de mes
études favorites et d'ouvrages commencés qui faisoient
le plus grande charme de mon éxistence après la société
<2r> de ma famille. Si nous parvenons à sauver le culte, à
conserver le noyau d'une Eglise, d'une société morale,
d'un simulacre du monde moral autour duquel
les hommes de bien puissent tôt ou tard se rallier
de nouveau pour faire triompher sous la bannière
du Christ la justice et la vertu, je suis heureux,
mes voeux sont accomplis. Mais pour ce but je
crois qu'il est indispensable d'environner nos autorités
suprêmes de ministres des deux communïons qui joignent
à une bonne reputation et à la confiance dont il faut
qu'ils jouissent auprès des membres de leur Église, de la philosophie
des lumières, surtout la connoissance de la Réligion
morale et la ferme résolution enfin de tout
amener vers les grands principes de l'amélioration
morale de leurs semblables.

Je Vous avoue, mon cher ami, que j'attache
beaucoup de prix à ce que Vous acceptiez le
poste qui Vous est offert et auquel les
voeux unanimes des législateurs de vôtre
Eglise Vous appellent. Ne les trompez pas. L'ac=
ceptation de cette place ne peut Vous compromettre
d'aucune façon comme que les affaires tournent. Et d'ailleurs
supposé qu'il y ait du danger, Vous n'êtes pas l'homme
qui refuse de servir la bonne cause à ses depends?
Voulez Vous qu'un Schaeffer  ou un autre automate
dans ce genre fasse les fonctions du culte ici, perpetue
le funeste préjugé que les cérémonies réligieuses sont l'essence du
Culte et dispensent les efforts de la vertu, et qu'ils desho=
nore le Vôtre aux yeux des Protestans, déjà si injustes dans
leurs jugemens qu'ils portent sur l'impossibilité à imprimer
une direction morale à Vos institutions catholiques? La
vérité Vous serez responsable de tout le mal qu'il fera et
de tout le bien que Vous n'aurez pas fait faire. Courage,
venez, mon cher ami: la tache est grande et pénible, mais
belle et digne de Vous. Je suppose et j'espère que Vôtre santé
est rétablie et que la societe de Vos amis de Berne ne
sera pas un motif sans force pour Vous y attirer de nouveau.
Mais je vous supplie de Vous hater: on me presse; il faut que
je me concerte avec Vous pour l'exécution très urgente des
articles contenus dans l'arrêté que je Vous envoye

<2v> On veut nous donner à Lucerne ce qu'il nous faut,
mais pour cela il ne faut pas risquer de laisser tomber
cette ville en mains de l'ennemi avant qu'on en fasse
venir delà ce qu'on nous offre. Aureste la position
des armées est très rassurante. Je ne suis pas très
confiant et je ne vois guères couleur rose come
Vous savez; mais je ne crois pas que l'ennemi pénètre
jamais jusques ici.

Présentez mes hommages à Vôtre Evêque  et
dites lui que je ferai mon possible pour que les
mesures bien motivées et nécessités par l'intérêt de
la Religion et des moeurs qu'il se verra dans le
cas de prendre pour maintenir la discipline et
mettre fin aux scandales, ne soient point desapprouvées
mais plustôt confirmés par le Directoire. Qu'il
marche avec assurance dans le sentier de son
devoir qui ne peut jamais être en collision avec
la constitution ou les vues du gouvernement.

Adieu, mon cher concitoyen et ami, rendez Vous
à mes instances et venez nous revoir aussitôt

qu'il Vous sera possible.

Salut fraternel et estimé

Le Ministre des sciences

Stapfer

Etendue
intégrale
Citer comme
Stapfer, Philipp Albert, Lettre au Père Girard, Berne, 07 juillet 1799, cote AEF Père Girard 4 1799.2. Selon la transcription établie par Damien Savoy pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1245/, version du 20.11.2020.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.