Transcription

La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Monod, Tsarskoïe Selo, 09 juillet 1791

Tsarsko Sélo Le 9e Juillet 1791.

Mon cher et bon ami. Vous pouvez croire que le Coup
qui vous a frappé m'a fait une vive impression. Votre
respectable Père ne m'étoit pas cher seulement come l'au=
teur de vos jours, il m'avoit tant témoigné d'amitié,
je lui étois si cordialement attaché, et il méritoit
si bien tous ces Sentimens, que la nouvelle de sa
mort m'a été extrémement sensible. Voilà donc
mon cher Monod la route que nous devons tous
prendre. A peine avons nous pris des engage=
mens, à peine avons nous jouï pour quelques anées,
qu'il faut tout abandonner, et cependant nos desirs,
nos projets, nos espérances, sont sans fin bornes.

Mlle votre Cousine m'a comuniqué tous les détails qui
intéressent vous et les vôtres; elle me considère come vous
appartenant, et ce n'est pas sans raison, mon bon
ami; car l'attachement qui nous lie, n'est pas de
l'espèce de ceux qu'on prend serre ou qu'on relâche
avec indifférence. Qui pourroit me reconcilier avec
mon pays, si je n'avois pas mes Parens et mon
bon ami? Ce sont là les crampons qui m'em=
pêcheront de me fixer tout à fait aïlleurs. Il faut que je vive
sinon auprès de vous, du moins à portée de vous voir
souvent, et de manière que nous puissions nous
comuniquer sans gêne et sans intermédiaire, nos
sentimens et nos pensées.

<1v> Vous savez, mon cher et bon ami, qu'on a augmen=
té mes appointemens de 2000 R par an, à compter du
1er Janvier 1791. Je viens en outre de recevoir 3000
R, pour faire mes arrangemens domestiques ; ainsi
avec ce que j'aurai de mon épouse, je pourrai vivre
à l'aise en ayant de l'ordre. La dot que je reçois
n'est pas considérable. Elle consiste en 15000 R. dont
5000 constituent le trousseau. Quant aux espérances
à venir, je n'essayerai point de les apprécier. Le
Père est très riche, et fait sans aucun péril un Comerce
de Comission très considérable. Quelques uns portent
sa fortune à 1 Million de Roubles, d'autres lui en don=
nent davantage, mais tous s'accordent à lui
le regarder come le plus riche et le plus solide Négo=
ciant de cette Ville. Come qu'il en soit, il a 12
Enfans, 5 fils et 7 filles; ainsi la part de chaque
Enfant ne peut être bien grande. Je m'estimerai
serais content dsi j'avois 30000 R. parce que Avec
ce qui m'appartiendra un jour j'en aurai de
reste pour vivre comodément et pour procurer à
mes enfans (si j'en ai) une bonne éducation. Dieu les préserve
de se croire riches, et de se dispenser du travail sous
ce prétexte. Qu'ils travaillent à leur tour, je n'irai
point me tuer de peines et de soucis pour et m'abs=
tenir de jouïr pour leur procurer la faculté de
vivre les bras croisés. On a fait courir au
<2r> Pays la ridicule nouvelle, que j'épousois une feme
qui m'apportoit 100000 francs, 1 mot biffure qu'on ne 1 mot biffure de
3 mots biffure
et d'autres Contes pareils, qui prouvent
bien la vérité du fama volat de Virgile. Le Père
est un home strict, mais juste, consciencieux et très hon=
nête. La Mère est une feme respectable par les soins
qu'elle a donné à l'éducation de sa famille et et par son
con esprit d'ordre et d'économie, mérites bien propres à
racheter un peu des accès passagers d'inégalité d'humeur et quelques
Caprices. Jamais je n'aurois pu rencontrer mieux,
et quand mon épouse future n'auroit aucune
fortune, je regarderois la possession seule de
sa personne come le plus grand bonheur qui put
m'arriver. Douce, sensible, spirituelle, laborieuse,
économe, elle est tout ce que j'aur je puis desirer., et
J'aime à penser qu'elle conviendra à Madame
votre Epouse dont je lui ai fait le Portrait, et je
suis sur qu'elle sera autant goutée dans mon Pays,
qu'elle le goutera elle même; malheureusement 4
et 5 années doivent encore s'écouler avant que 1 mot biffure
ces châteaux en Espagne ne puissent se réaliser. C'est

Nous avons loué une jolie petite maison, assez grande
pour recevoir une Société peu nombreuse, et assez
petite pour n'annoncer que la simplicité. La famille
de mon Epouse, et quelques autres personnes forme=
ront <2v> le cercle de nos Connoissances, dont les Compatriotes
d'ici feront la portion la plus essentielle. Je compte
entr'autres beaucoup sur Mlle votre Cousine et sur
Mlle Mazelet. La Noce est fixée au 28e Aout; buvés
à ma santé ce jour là, pensés à votre ami qui goute
le bonheur, et faites des voeux pour lui.

Mr votre Cousin vous aurra dit bien des choses, et auroit
pu vous en dire encore plus si je l'avois plus longtems
et plus à mon aise.

Je m'étois flatté de recevoir de vos nouvelles par
le canal de Mr du Puget; pourquoi ne pas profiter
d'une aussi bonne occasion? Somes nous dans des
circonstances ou à portée de nous d'ouvrir autrement
nos Coeurs?

Je suis fort content de l'ainé de mes Disciples, dont la beauté
physique et la beauté morale sont de niveau. Il ne
lui manque que d'être né dans une la Classe des Particu=
liers, mais c'est un excellent jeune home, auquel je
suis sincérement attaché. S'il écoute un jour la
voix enchanteresse des flateurs, ce ne sera pas faute
d'ap d'avoir été averti, et 3 mots biffure s'il respecte
les droits de ses Semblables, je pourrai bien m'en m'attri=
buer une part de ce Mérite. J'ai parlé en home
courageux et libre 1 mot biffure et ce Langage si nouveau
1 mot biffure et si mal accueilli dans toutes les Cours, m'a
été passé, sans d sans avoir eu besoin de le justifier:
le Souverain lui même m'a loué publiquement
<3r> de mes principes, et vous pouvez bien croire qu'après
les avoir avoué là où l'on n'y est pas accoutumé, je
n'irai pas me deshonorer en les reniant aïlleurs.
Partout ou je trouverai la Sottise et l'Erreur et la
Bassesse en mon chemin, je les traiterai suivant leur
mérite. Dèsque j'aurai achevé le petit ouvrage
sur le droit naturel, que je destine à mon disciple, je ferai
ensorte d'en obtenir une Copie pour vous l'envoyer.
Si je ne puis faire entendre ma voix dans mon pays,
je m'en dédomagerai en servant l'humanité dans d'autres
contrées. Soyez sur Monod que mes
principes sont 1 mot biffure bien refléchis, et que
je connois le degré ld'éxtension dont ils sont
susceptibles. Calme dans la délibé=
ration, hardi, promt, déterminé
dans l'éxécution, voilà ce qu'il faut être.

Vallon mendie, bavarde, et trompe
tout le monde; c'est bien le plus mauvais sujet que la terre
porte. J'ai vu Henri dDevenoge que j'aurois à peine re=
connu: il paroit bien l'Antipode de l'autre.

S'il paroit quelques mémoires ou Ecrits sur nos affaires, vous
m'obligerés toujours en me les envoyant; ne regardés pas
aux ports. Je serais charmé de les suivre, ne fut ce que de
loin. 5 mots biffure Stultus hic ego sum
quia non intelligor illis
. Mlle votre Cousine et Mlle Mazelet
se portent à merveille. Si vous pouviez faire savoir à Secretan
fils du Banneret, que j'ai reçu sa lettre qui m'a fait un vrai plaisir
et que je ne manquerai pas d'y répondre. Présentés mes obéïssances
à Me, chez Mr votre Oncle et à Mlle votre Soeur. Donnés quelques baisers à
vos enfans de ma part, mes amitiés à Mayor et Forel et des Complimens à
Mrs Mandrot et Jaïn. Parlez moi de vous, de vos affaires, de vos plaisirs
et n'oubliez pas que nous somes amis jusqu'au tombeau et par delà.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur Monod Docteur
ès droits, Assesseur baillival
à Morges Canton de Berne
En Suisse
 


Etendue
intégrale
Citer comme
La Harpe, Frédéric-César de, Lettre à Henri Monod, Tsarskoïe Selo, 09 juillet 1791, cote BCUL IS 1918/H33, 133. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1114/, version du 10.04.2019.
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